Quelques “réflexions sur l'esprit humain” : l'héritage et la modernité selon Marivaux
Résumé
L'article cherche à définir le rapport qu’entretient Marivaux avec les textes du passé et leur rôle de « modèles ». Cette pensée de l’héritage s’affirme avec force dans les préfaces des romans « travestis » de l’écrivain (L’Homère travesti et le Télémaque travesti), qui exposent des principes que Marivaux reprendra avec constance : la nécessité de replacer les œuvres dans leur temps pour en apprécier « la juste valeur », le dialogue que l’on peut néanmoins engager avec les écrivains du passé et l’autonomie du texte littéraire par rapport à l’autorité d’un modèle, si prestigieux soit-il. Les articles de Marivaux parus dans Le Mercure (de 1717 à 1757), les journaux fictifs (Le Spectateur français, L’Indigent philosophe, Le Cabinet du philosophe) et les discours prononcés à l’Académie dans les années 1740 (et publiés dans Le Mercure), permettent d'approfondir la réflexion. Selon Marivaux, seule une optique historique permet un véritable dialogue avec les écrivains du passé, novateurs exceptionnels dans leur temps, mais dépassés par l’accroissement des idées et les progrès de l’esprit. Libérés du carcan des modèles, les écrivains modernes peuvent alors exprimer toute leur « singularité », mot clef de la pensée esthétique de Marivaux, même si elle est sujette à l’incompréhension et demande une certaine finesse. Replacer les œuvres du passé « en leur temps » n’est pas seulement une saine approche critique et historique, c’est aussi une nécessité éthique, la condition d’existence d’une œuvre moderne qui n’hésite pas à se tourner vers l’avenir et à constituer sa propre communauté de lecteurs, au cœur d’un siècle encore bien méfiant envers les innovations « singulières » de l’écrivain.
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