Inscrire la nature en ville dans la longue durée : l’exemple du Parc de la Caffarella, à Rome
Résumé
La préservation de la nature en ville est un élément important des politiques publiques visant à réduire
l’impact environnemental des villes. Mais comment se sont constitués ces espaces non bâtis dans les villes ?
Quels acteurs ont contribué à leur préservation et de quelle manière ? Quelles étaient les ambitions et les raisons
d’agir de ces différents acteurs ? Quelles ont été les formes d’interaction ou de conflictualité entre culture locale
territoriale et instances politiques (Revel, 1996) ? Quel rôle ces jeux politiques inscrits dans la longue durée
jouent-ils dans le nouveau regard porté sur ces espaces, dans un contexte de développement durable ?
Dans une approche nourrie de celle des tenants de la « micro-histoire » (Bocquet, Revel, 1995, Stieber,
1999), nous nous intéressons dans cette communication à une seule étude de cas, celle du parc de la Caffarrella à
Rome. Cette approche est susceptible de nous permettre d’étudier au plus près les différentes parties tenantes de
la préservation de cet important espace « agri-urbain » et leurs interactions, en prêtant attention non seulement
aux enjeux institutionnels et au contexte macro-politique, mais aussi aux acteurs plus modestes qui y ont
contribué, chacun à sa mesure (Latour, 2005 ; Bender, 2006) et qui, aujourd’hui encore, participent à sa
préservation dans le cadre d’un discours en parti renouvelé dans le contexte de la recherche d’un développement
durable.
Le parc de la Caffarella est une sorte d’« épine » verte qui part de la ceinture agricole de Rome, l’Agro
Romano, pour s’insérer jusqu’à la limite de la zone urbaine dense. Il fait aujourd’hui partie d’un ensemble protégé
par la Loi régionale n.29 de 1997, à l’issu d’un long processus de négociation et de résolution de conflits, au titre du
« système naturel » de la Région Lazio. Il est géré par un Etablissement public (créé en 1988) comportant des
représentants de la Région, du Département, de la Commune et d’une association agissant dans le domaine
environnemental. L’Etablissement public présente la spécificité de s’appuyer pour la gestion du parc sur un
comité de citoyens engagés dans la préservation et l’animation de ce lieu riche tant du point de vue patrimonial
que de celui de sa biodiversité (Sorace, 2001).
Sur la base de réflexions menées dès 1870, quelques éléments archéologiques présents dans le parc sont
classés en 1909 au titre du patrimoine architectural. L’ensemble de la Vallée de la Caffarella est ensuite protégé,
en 1954, au titre de la loi d’Etat de 1939 portant sur la protection du paysage (Marroni, 2008). Ces différents
classements sont intéressants à examiner sur la longue durée, car ils ponctuent des luttes menées par des érudits
(historiens de l’art, archéologues, géologues, etc2.), et d’autres citoyens cherchant à agir, avec le soutien de l’Etat
italien, contre une municipalité romaine dont les intérêts convergent souvent avec ceux des propriétaires
fonciers, particulièrement lorsqu’ils sont membres des conseils municipaux. La figure de la « coalition spatiale »,
théorisée par Edward Soja (2000), après Henri Lefevre (1974), permet de bien rendre compte de ces liens à
l’intérieur desquels circulent expertisent savante et populaire, solidarité concrète, médiations, convergences
stratégiques… bien avant que la participation ne soit à l’ordre du jour mais constituant son terreau.
Ces conflits perdurent au rythme des changements politiques à la tête de la municipalité de Rome, avec
tantôt planification du lotissement du parc et mise en constructibilité des terrains (années 1960), tantôt
expropriation des propriétaires pour faire de cette zone un parc public (1972 ; 1977), tantôt annulation de ces
expropriations par la municipalité suivante (1980), etc.
Ce bras de fer entre la Ville de Rome et l’Etat italien a concerné plus largement l’ensemble de la politique
urbaine romaine (Bocquet, 2007). Dans le cas du parc de la Caffarella, nous posons l’hypothèse que ces conflits
ont permis non seulement que le terrain ne soit finalement pas bâti -des bâtiments illégaux y ont néanmoins été
édifiés- (Parco regionale dell Appia Antica, 2009), mais aussi qu’une culture de la participation -ou de la
négociation- accompagnée d’une relation spécifique aux espaces protégés se développe autour de ce site. C’est
peut-être ce qui rend aujourd’hui possible son inscription dans une politique de développement durable, non
seulement compte tenu de son intérêt écologique ou des pratiques sociales, mais aussi du fait de la forte
participation des citoyens à sa gestion, depuis plusieurs générations.