" Moon Palace ou les errances du Bildungsroman " - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Q/W/E/R/T/Y Année : 1996

" Moon Palace ou les errances du Bildungsroman "

Résumé

Moon Palace, de Paul Auster, se présente explicitement comme un bildungsroman (les allusions à Dickens sont d'ailleurs nombreuses) : Marco Stanley Fogg retrace, des années plus tard, son adolescence et son entrée dans la vie adulte après une longue période de formation auprès de différents maîtres. Cette période de sa vie lui a notamment permis de découvrir l'identité de son père et de son grand-père qui lui étaient inconnus, et de compléter ainsi son arbre généalogique lacunaire. Son récit, pourtant, s'écarte rapidement du schéma du bildungsroman classique. Tout d'abord parce qu'à la reconstitution de son histoire familiale, Fogg substitue un véritable roman familial au sens psychanalytique du terme : il élague son arbre généalogique et remanie ses origines qu'il tient en fait à conserver mystérieuses et incomplètes ; ainsi, la branche maternelle est-elle presque totalement passée sous silence, et ses représentantes systématiquement dévalorisées et évacuées du récit, comme si la mémoire de Fogg refusait d'enregistrer leur présence. Dans le même temps, l'absence du père, elle, est soulignée comme féconde et stimule l'imagination de Fogg qui construit le portrait d'un père fictif auquel il ne renoncera que contraint et forcé. Car Fogg, contrairement au héros de bildungsroman classique, n'est pas intéressé par la découverte de ses origines et demeure aveugle devant l'évidence aussi longtemps que possible, se raccrochant obstinément à sa version personnelle de sa propre histoire. On observe également un travail paradoxal concernant la chronologie du récit : en apparence, Fogg reconstitue les faits et ensevelit le lecteur sous de multiples dates qui, toutes, correspondent et tissent un canevas temporel serré. Pourtant, à y regarder de plus près, on se rend compte qu'il élabore en parallèle une chronologie seconde qui dédouble le récit, et qui ne repose que sur une perception hautement personnelle et subjective du temps et des faits : cette nouvelle chronologie, choisie et non subie, brouille les pistes, remettant en question son entreprise généalogique et subvertissant le cadre chronologique classique du roman d'éducation. Le fait réel n'a guère d'importance ; ce qui en a, en revanche, c'est la valeur symbolique que Fogg attribue à sa propre expérience et qu'il substitue au déroulement vérifiable de son histoire. En ce sens, Fogg affirme, au moment même où il semble obéir aux conditions strictes d'un genre littéraire codifié, sa volonté de privilégier le hasard et la coïncidence (thèmes austériens par excellence) par rapport à une "réalité" qu'il n'évoque que pour mieux la détourner, et son désir de croire que le cours de la vie n'est rien d'autre que le regard a posteriori que l'on porte sur ce qui s'est produit.
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-01057603 , version 1 (24-08-2014)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-01057603 , version 1

Citer

Sophie Vallas. " Moon Palace ou les errances du Bildungsroman ". Q/W/E/R/T/Y, 1996, octobre 1996, pp.225-233. ⟨halshs-01057603⟩
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