Des aires de spécialisation productive aux territoires industriels, 1680-1850. Les espaces productifs de la laine du Midi
Résumé
Au cours du XVIIe siècle, le Midi de la France se dote d'une puissante industrie lainière résultant du développement d'une production fine pour les marchés orientaux - le Levant en particulier - et de la localisation définitive des fabrications simples et peu coûteuses dans le rural. Des espaces se structurent alors ; mais l'organisation de leurs éléments constitutifs n'est pas fortement structurée et leur aspect fonctionnel -- c'est-à-dire des processus touchant aux flux, aux évolutions -- repose sur des " économies externes " à l'intensité hétérogène. La réalité spatiale industrielle est faite alors d'aires territoriales, historiquement déterminées autour de villes manufacturières, et aux contours susceptibles d'évoluer dans le temps, à la spécialisation du territoire dans la fabrication d'un produit spécifique (ou d'un ensemble de produits) exigeant la mise en œuvre de savoir-faire accumulés localement. Ces traits sont identifiables dans tous les territoires de la laine du Midi, ils les dépassent même en formant de véritables aires de spécialisation productives intégrant plusieurs territoires aux XVIIe et XVIIIe siècles. Avec la montée en puissance du Verlagssystem dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et la croissance du nombre des fabricants intégrés dans la première moitié du XIXe siècle, le sentiment d'appartenance - enraciné dans la pratique d'un métier commun et les relations d'interdépendance internes au territoire - comme l'existence d'un patronat doté d'une culture et de comportements communs - qui trouvent leur origine dans son mode de reproduction et façonnent des formes particulière d'entrepreneurship - se développent. C'est au même moment que se met en place une concentration d'entreprises (sans distinction de taille) aux caractéristiques communes, liées entre elles par la division du travail et une forte proximité géographique ; elle forme une filière plus ou moins complète et la présence d'un marché du travail, dont la configuration assure la mobilité de la main-d'œuvre, assure le maintien et le fonctionnement de l'ensemble du système productif. Dès lors, il est possible, pour le Midi de la France, d'identifier des territoires de la laine centrés sur les places qui les animent et s'intégrant dans des espaces plus vastes relevant d'aires de spécialisation productive, elles-mêmes regroupées dans des zones homogènes de fabrication d'un ou de plusieurs genres de produits, sans qu'il y ait dans ce cas la moindre interpénétration entre les zones. Il existe, en effet, des degrés de territorialisation qui dépendent de l'intensité des relations entre les entreprises, de la prégnance de la culture commune et de l'action des institutions. Plus ou moins élevés dans un espace donné, ils peuvent varier au cours du temps. L'image proposée du Midi lainier entre 1680 et 1850 est celle d'aires de spécialisation productive hétérogènes, discontinues, aux frontières mouvantes, à la cohésion interne variable, aux trajectoires fortement dépendantes tant de phénomènes extérieurs que de dynamiques endogènes elles-mêmes très diverses. Les territoires qui les constituent sont plus structurés ; centrés sur des places de fabrication et de négoce contrôlant des zones géographiques de dimension variable, leurs éléments constitutifs sont organisés tout comme leur fonctionnement relatif aux flux et aux évolutions. Les critères les plus aisément décelables pour isoler ces systèmes touchent à l'existence nourrie des flux qui régissent les relations économiques dans un espace donné, à la nature spécifique des tissus qui y sont fabriqués et à la mobilisation particulière des techniques nécessaires à leur élaboration. La mise en lumière de ces facteurs permet de proposer une géographie hiérarchisée d'espaces de production emboîtés, organisée en aires, territoires et places de l'industrie. Leur étude fine permet de tenter une explication de la disparition de l'essentiel des espaces de la laine du Midi au tournant des XVIII et XIXe siècles et d'établir les facteurs qui ont permis le maintien et de développement de territoires porteurs d'une forte dynamique de croissance ultérieure.