Culture du secret et goût de l'équivoque : les manuscrits à devise anagrammatique à la fin du Moyen Âge. - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2007

Culture du secret et goût de l'équivoque : les manuscrits à devise anagrammatique à la fin du Moyen Âge.

Résumé

Lorsque Paul Durrieu publie en 1909 le prestigieux fac-similé du Des cas des nobles et femmes de Boccace attribué à Jean Fouquet et conservé à la bibliothèque royale de Munich, il lève définitivement le mystère qui entourait jusqu'alors la devise anagrammatique présente dans neuf des quatre-vingt onze images que contient le manuscrit . Il établit que derrière la formule énigmatique de " Sur ly na regard " se dissimule le gendre d'Etienne Chevalier, soit Laurent Girard, notaire et secrétaire du roi Charles VII et contrôleur de la recette générale des finances du royaume. Cette identification éclaire le monogramme " LG " qui accompagne les images et est confirmée par la restitution intégrale du colophon dont la mention finale grattée était restée jusqu'alors dans l'ombre : " L'an mil quatre cens cinquante et huit, et le vintquatrieme jour de novembre, régnant Charles, VIIe de ce nom par la grâce de Dieu roy de France, l'an de son règne le XXXVje, fut accompli de copier et de transcrire ce présent livre de Boccace cy dessus intitulé, ou lieu de Hauberviller-lez-Saint-Denis-en-France, par moy Pierre Faure, humble prestre et serviteur de Dieu, et curé dudit lieu, pour et au prouffit de honnourable homme saige maistre Laurens Gyrard, notaire et secrétaire du roy nostre sire, et contrerolleur de la recette générale de ses finances " . L'utilisation, comme devise, d'une anagramme composée à partir du nom du commanditaire (ou du propriétaire) n'est pas un cas isolé comme le rappelle Paul Durrieu lui-même . Les plus anciens exemples connus sont les manuscrits ayant appartenus à Jean Lebègue († 1457), homme de lettres et bibliophile, dont la plupart des vingt-deux codices conservés portent la formule : " A bele Viegne ", parfois accompagnée d'une seconde : " He bien alegue ", auxquelles est ajoutée une sentence plus traditionnelle : " Paix et joye " . Simon de Varye ajoute à la devise qu'il partage avec son frère Guillaume (" Plus que jamais ") la mention " Vie à mon désir " dans son livre d'heures daté des années 1455, dont les cahiers sont aujourd'hui répartis entre la Bibliothèque Royale de La Haye et le Getty Museum de Los Angeles . Louis de la Vernade, conseiller du duc Charles Ier de Bourbon, choisit comme anagramme en 1457 " Desloyal n'a durée " qu'il appose dans un Caton conservé à la Bibliothèque nationale d'Autriche à Vienne (Cod. 2299) . Jean Le Gouz, secrétaire des rois Charles VII et Louis XI, décline son nom en " Je glane hous " sur son De amicitia de Cicéron conservé au British Museum de Londres (ms. Harley 4329), dont la copie est datée du 29 avril 1460 . L'anagramme du nom de Mathieu Beauvarlet (" Va hativeté m'a brulé ") se retrouve vers 1470 dans deux manuscrits : un Roman de Fauvel de Germain du Bus (Saint-Pétersbourg, Bibliothèque nationale de Russie, ms. 5.2.101 ) et une Cité de Dieu de Saint-Augustin (Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 246) . Jehan Boudet, contrôleur des finances du duc d'Orléans, propose la formule " Yva de Bonhet " sur son livre d'heures daté des années 1475 . Les Heures de la famille Le Jay, anciennement conservées dans la collection de Paul Durrieu et dont la copie date de 1492, porte également comme devise une anagramme très simple : " Je l'ai " . C'est cette fois le nom de son épouse, Louise Chauvet, que Jean Robertet choisit de décliner à deux reprises : " Chaste vie loue " et " Au chois t'é élue " pour marquer ses manuscrits . Jean Bourré, l'un des plus proches conseillers de Louis XI, associe sa propre devise anagramme (" Rie bon heur a ") à celles de sa femme, Marguerite de Feschal : " De chaste mari fu le gré ", " Riche et large dame fus ", " Dame fresche luit a gré " sur un manuscrit, semble t-il, entré de son vivant dans les collections de Charles VIII . Ce corpus, qui couvre chronologiquement la totalité du XVe siècle est déterminé par la personnalité de chacun des commanditaires et possesseurs qui lui sont associés . En effet, comme le remarquaient Paul Durrieu et François Avril , ces manuscrits ont pour caractéristique principale, outre la présence de devises anagrammatiques, d'avoir appartenu dans leur grande majorité à des fonctionnaires royaux, principalement des notaires et secrétaires du roi et des gens de finances. La devise, qui par définition " révèle l'origine, le caractère, les actes, les sentiments ou les aspirations de celui qui en fait usage ", dépasse ici la simple fonction d'expression d'une individualité pour devenir la manifestation identitaire d'un corps social. Cet aspect de la question, précédemment formulé sans jamais avoir été plus précisément analysé , trouve des réponses dans l'étude des contextes historique et culturel dans lesquels se placent ces différents commanditaires comme dans la prise en compte du statut de l'anagramme dans la société de la fin du Moyen Âge. Ce sont ces derniers points qui seront développés au cours de cet article.
Fichier principal
Vignette du fichier
Culture_du_secret.pdf (323.05 Ko) Télécharger le fichier
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

halshs-00949812 , version 1 (22-02-2014)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00949812 , version 1

Citer

Pascale Charron. Culture du secret et goût de l'équivoque : les manuscrits à devise anagrammatique à la fin du Moyen Âge.. Lecture, représentation et citation; L'image comme texte et l'image comme signe (XIe-XVIIe siècle), Dec 2002, Lille, France. pp.117-128. ⟨halshs-00949812⟩
360 Consultations
505 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More