Le Bouvard et Pécuchet d'Henri Ey (1955)
Résumé
In 1955, psychiatrist Henri Ey (1900-1977) edited a Treaty of Psychiatry (Traité de Psychiatrie) as part of the Medical-Chirurgical Encyclopedia (Encyclopédie Médico-Chirurgicale, EMC, Editions Techniques), gathering more than a hundred collaborators. A large portion of these were from the French psychoanalytic community and psychiatrists affiliated with public psychiatric hospitals, however excluding the main characters of academic neuropsychiatry. At a banquet organized to celebrate the publication of the contributed volume, Henri Ey reads to his guests a parody of Bouvard and Pécuchet by Flaubert. I suggest to grasp this relatively little-known manuscript under the lens of irony. Written in a derisive manner by a psychiastrist mocking the practices and doctrines of his field (from mesmerism to Freudianism), this document may also be appraised as a roman à clef about the balance of powers and struggles for monopoly within a medical profession where dissent is being fueled by distinct professional titles, intellectual itineraries or scientific networks. I will first show that Henri Ey probably relied on the "deux bonshommes" to neutralize any form of criticism against his ambition to be an encyclopedist. Henri Ey's attitude may here be compared with that of Raymond Queneau (1903-1976), at the time director of the Encyclopédie de la Pléiade: he, too, was haunted by the characters of the mad professor and the amateur scientist, and he wrote two prefaces for reissues of Bouvard and Pécuchet. However, Henri Ey's Bouvard and Pécuchet is less evocative of Queneau's stylistic composition than the pugnacity of corporatist manuscripts defending psychiatry. In a second step, I will analyze the status of the burlesque pastiche of an already burlesque work: this text hides an authentic satire featured as a comedy. The author targets a number of real individuals, sometimes named in the text and represented in a grotesque manner. Here, parody appears to be serving persiflage.
En 1955 le psychiatre Henri Ey (1900-1977) publie sous sa direction un Traité de Psychiatrie dans la collection de l'Encyclopédie Médico-Chirurgicale (EMC, Editions Techniques), rassemblant autour de lui plus d'une centaine de collaborateurs. Parmi eux, une grande partie des psychanalystes français, avec qui les psychiatres du cadre des hôpitaux psychiatriques publics se répartissent les matières à exposer, tandis que les principaux représentants de la neuropsychiatrie universitaire sont exclus. Lors d'un banquet offert pour fêter la parution de l'ouvrage collectif, Henri Ey fait la lecture à ses hôtes d'une parodie (ou pastiche, voire satire ?) de Bouvard et Pécuchet de Flaubert. Je propose d'appréhender ce document méconnu des historiens par le biais de l'ironie : écrit sur le ton de la dérision par un psychiatre évoquant les pratiques et les doctrines qui prêtent le flan à la moquerie dans sa discipline (du mesmérisme au freudisme), le texte peut aussi se lire comme un roman à clef des rapports de force et des défenses de monopole, dans une profession médicale où les dissensions sont nourries par des titres professionnels, par des itinéraires intellectuels et par des réseaux savants différents. Dans un premier temps, je montrerai qu'à travers l'emprunt des " deux bonshommes ", Henri Ey avait certainement pour but de désamorcer toute critique vis-à-vis de son ambition d'encyclopédiste. On peut comparer à cette occasion la posture d'Henri Ey à celle de l'écrivain Raymond Queneau (1903-1976), directeur de l'Encyclopédie de la Pléiade à la même époque : lui aussi fut hanté par les figures du savant fou et du scientifique amateur et il rédigea deux préfaces pour des rééditions de Bouvard et Pécuchet. Cependant, le Bouvard et Pécuchet d'Henri Ey évoque moins l'exercice de style de Queneau que la pugnacité des textes corporatistes de défense de la psychiatrie. Dans un second temps, il s'agira donc d'analyser le statut de l'imitation burlesque d'une œuvre déjà burlesque : ce texte cache une véritable satire sous le travestissement du comique. L'auteur vise une série de personnes bien réelles, parfois nommées dans le texte et présentées de manière grotesque. La parodie apparaît ici comme mise au service du persiflage.