Umsturz und Exil, " Révolution " et Exil, le "devenir-étranger " de Karl Löwith
Résumé
En 1940, la Widener Library de Cambridge, Mass. met au concours la question suivante : " Ma vie en Allemagne avant et après le 30 janvier 1933 ", et offre 1000 $ pour le premier prix. Préparant son passage du Japon où il s'était exilé aux Etats-Unis, le philosophe Karl Löwith saisit l'occasion et rédige hâtivement un texte qu'il adresse à la revue. Il n'obtiendra pas de réponse et son manuscrit, tombé dans l'oubli, ne sera retrouvé par son épouse Ada que douze ans après sa mort. Elle décide de le publier aussitôt, en 1985. Ce texte, que les Löwith appelèrent le Harvard Paper, est un document exceptionnel, non seulement en tant que témoignage d'un philosophe allemand contraint à l'exil par les lois raciales de la " révolution nationale-socialiste ", mais essentiellement - raison majeure pour laquelle la revue ne le prît pas en considération - parce qu'il met en place, dans une situation pratique qui, a priori interdit tout travail théorique, des concepts de premier plan par lesquels Karl Löwith structure, à travers sa propre expérience de l'exil, tout le destin historique de l'Allemagne et du monde. Reprenant ses carnets et journaux, il élabore dans l'urgence une compréhension puissante de la " destruction générale " (Destruktion) de la modernité, à laquelle il reconnaît avoir contribué par sa " critique du présent " (Kritik des Bestehenden). La contribution propose de présenter ces concepts sous la figure métamorphique du " devenir-étranger ", par laquelle Löwith pense à la fois le statut auquel l'a condamné le nazisme en le chassant de l'Université comme " demi-juif ", mais en même temps sa séparation intellectuelle avec la culture allemande qui l'a formé et qu'il a contribué lui-même à former comme universitaire spécialiste de Nietzsche jusqu'au point de rupture de l'Ausbruch de 1933. Löwith montre qu'il n'y a d'exil qu'intérieur lorsque la culture de la modernité se remet en cause à partir de sa propre émancipation. Son interprétation en ce sens de la confluence de la pensée de Heidegger avec la " Révolution nationale " est tout à fait éclairante et oblige à penser, bien plus loin que ne le font les condamnations morales de l'engagement de Heidegger dans le nazisme. " Devenir-étranger " est pour Löwith un éveil par lequel il saisit, au-delà du déploiement d'une idéologie raciste dont il ignore encore en 1940 le projet génocide, le mouvement d'abandon, propre à la fin de la modernité, du projet même de la Bildung humaniste qui a orienté son éducation et sa vie.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)
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