Définir la pornographie : le cas de Baise-moi (France, 2000)

Damien Simonin (1)

1 DPCS - Dispositions, pouvoirs, cultures, socialisations

Comprendre la pornographie contemporaine implique certes de considérer ses conditions de production et de réception, mais celles-ci sont aussi fonction de ses modalités de diffusion. En considérant la pornographie, à la suite de Lynn Hunt (1993), comme un genre autonome de productions culturelles et une catégorie de régulation de ces représentations, je présente le travail socio-historique de définition qui la caractérise, à partir du cas du film Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi (France, 2000). Pour ce faire, je procède par une analyse qualitative de ses conditions de production et de réception, en étudiant les prises de position politiques, les normes juridiques et les décisions administratives, à partir d'archives de la presse nationale quotidienne et hebdomadaire, des lois et décrets applicables entre 2000 et 2001, des décisions du Conseil d'État et d'archives administratives de la Commission de classification du CNC. Les films pornographiques sont soumis en France à la loi du 30 décembre 1975, qui définit le classement " X " des films " à caractère pornographique ou d'incitation à la violence " et impose des conditions spécifiques pour leurs production, diffusion et consommation. L'apparition dans les années 1990 de la vidéo, des chaînes spécialisées et d'internet transforme les modes de consommation de productions culturelles, en permettant en particulier une privatisation de la consommation de pornographie. D'où, apparemment, une distinction possible entre modes de consommation privée des films pornographiques (à la télévision, en vidéo et sur internet) et modes de consommation publique des films non-pornographiques (dans les cinémas). Dès lors, la réglementation de la diffusion publique de la pornographie semble sinon totalement désuète, du moins dépourvue d'objet. Avec le cas de Baise-moi, je tente de montrer comment des usages nouveaux des codes de la pornographie peuvent donner lieu à des transformations des normes juridiques et des pratiques administratives, et par conséquent à une redéfinition de la pornographie. Il s'agit d'abord, à partir des caractéristiques du film et des prises de position des auteures (en particulier la présence de scènes de sexe explicites et non simulées), d'interroger sa définition comme un genre de productions autonome. En analysant les classements successifs et contradictoires du film par la Commission de classification et sa réception critique et publique, je montre ensuite le trouble que produit le film dans la définition de la pornographie comme catégorie de régulation. Enfin, la résolution du problème public posé par le film, c'est-à-dire l'introduction de la catégorie des films " interdit moins de 18 ans " en complément de celle des films " X ", permet d'envisager de nouvelles distinctions entre représentation pornographique, représentation explicite et consommation privée (considérant l'application de cette nouvelle catégorie par la Commission de classification, la désuétude progressive de la loi de 1975 et finalement l'émergence d'un nouvel espace public de diffusion des films comportant des représentations explicites). Au final, j'essaye de dépasser le constat du caractère arbitraire de la définition de la pornographie en étudiant un moment de cette définition de la catégorie.

Mots clés: pornographie; genre et sexualité; définition-catégorisation

Domaines: Sociologie

Damien Simonin. Définir la pornographie : le cas de Baise-moi (France, 2000). La pornographie en France, XIXe-XXe siècles, May 2011, Guyancourt, France. ⟨halshs-00688905⟩