Habiter la ville, accéder aux territoires. - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Rapport Année : 2011

Habiter la ville, accéder aux territoires.

Mariane Thébert
Thierry Vilmin
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 897512

Résumé

Dans un contexte marqué par des préoccupations à l'égard de la protection de l'environnement et par une crise économique qui tend à s'amplifier et dont les effets touchent d'abord les populations les plus fragiles, les questions relatives à l'accès à la ville et à la régulation des mobilités spatiales se caractérisent par d'importants conflits d'intérêt. Il existe par exemple une contradiction potentielle entre la nécessité de maîtriser l'accroissement des circulations motorisées et la défense d'un droit à la mobilité pour tous. De même, la volonté de garantir un certain niveau de mixité sociale dans les quartiers ou les communes urbaines n'est pas nécessairement compatible avec la mise en œuvre d'un droit au logement pour les personnes les plus démunies. Ou encore, l'augmentation de l'attractivité économique des villes, qui rime souvent avec l'amélioration de leur accessibilité, ne s'accommode pas toujours des objectifs de lutte contre le changement climatique. Pour les chercheurs qui travaillent sur les interfaces entre analyse des dynamiques sociales et analyse des politiques publiques, la prise en compte de ces contradictions passe par une appréhension plus globale des questions de mobilité spatiale et d'accès à la ville (Dureau et Lévy, 2002). Qu'ils s'appliquent aux questions de mixité sociale, d'inégalités sociales face à la mobilité ou à l'évaluation des politiques de relogement, plusieurs travaux à base d'études empiriques soulignent l'intérêt d'une prise en compte conjointe et interdépendante des problématiques relatives à l'ancrage territorial et aux mobilités spatiales (Wenglenski, 2003 ; Fol, 2005 ; Jouffe, 2007 ; Lelévrier, 2007). En matière d'action publique, les questions d'accès à la ville et de mobilité spatiale mettent donc en jeu différentes politiques sectorielles : l'aménagement de zones résidentielles ou d'activités, l'habitat, le développement économique, les transports et l'organisation des déplacements ou du stationnement, ainsi que l'ensemble des politiques sociales transversales à ces différents secteurs, en particulier la politique de la ville. A ces enjeux sociaux, appelant une approche globale des problèmes et des modes de régulation politiques, se superposent des problématiques de réorganisation de l'Etat et des collectivités locales. Le passage d'une logique de " production d'action publique, fondée sur la fourniture de services " à une logique de " construction d'action publique, définie par la mise en cohérence des actions publiques " caractérise l'évolution des relations entre les acteurs de la gestion publique territoriale (Duran et Thoenig, 1996). Avec la mise en œuvre de la décentralisation et la nécessité pour les collectivités locales de résoudre les problèmes qui se posent sur leur territoire, les enjeux de coordination (articulation des secteurs d'action et coopération des acteurs à différentes échelles de gouvernement) sont devenus centraux. Les réformes récentes de l'intercommunalité témoignent de la volonté de l'Etat de fournir une solution institutionnelle au problème de la coordination. Dans un système d'action locale multi-secteurs et multi-échelles, les nouvelles communautés d'agglomération, pierre angulaire de la relance de l'intercommunalité urbaine initiée par la loi Chevènement , disposent a priori de capacités de régulation particulières. Tout d'abord, elles sont dotées par la loi de compétences obligatoires dans les principaux champs des politiques urbaines : aménagement de l'espace (dont l'organisation des transports urbains), habitat, développement économique, environnement. Par ailleurs, elles sont particulièrement sollicitées par les instruments de la politique nationale (planification et contrats) pour élaborer des projets de territoire qui intègrent différentes composantes sectorielles. Enfin, elles se trouvent dans une position intermédiaire entre les communes, les autres collectivités locales et les services de l'Etat. Partant de ce postulat, cette recherche vise à caractériser l'action des communautés d'agglomération dans leur capacité à articuler plusieurs secteurs d'intervention, notamment l'aménagement urbain, l'habitat, les transports et les déplacements et le développement économique. Plus précisément, l'aménagement de l'espace urbain constitue le socle à travers lequel nous observerons l'intervention des communautés d'agglomération et des communes dans les secteurs de l'habitat, des déplacements et du développement économique. Notre principale hypothèse de travail porte sur l'absence d'autonomie politique des intercommunalités vis-à-vis des communes qui les composent : les intercommunalités ne sont (font) que ce que les élus des communes, et notamment les maires, veulent bien qu'elles soient (fassent). Cette hypothèse s'inspire en particulier de travaux réalisés dans le champ de l'analyse des sciences politiques, qui soulignent le caractère à la fois opaque et consensuel du gouvernement intercommunal (Desage, 2005). Plus que sur les principes politiques qui régissent le fonctionnement de ces institutions, notre questionnement porte plutôt sur les relations entre les jeux politiques au sein des structures communautaires et le contenu des politiques mises en œuvre à l'échelle intercommunales (c'est-à-dire le lien entre " politics " et " policies "). Pour ce faire, nous nous sommes intéressés à deux communautés d'agglomération franciliennes : la communauté d'agglomération du Val-de-Bièvre (CAVB), qui regroupe 7 communes de la petite couronne (Arcueil, Cachan, Kremlin-Bicêtre, Gentilly, Villejuif, L'Haÿ-les-Roses et Fresnes) et la communauté d'agglomération de Mantes-en-Yvelines (CAMY), qui compte 17 communes situées en grande couronne francilienne, dont la ville de Mantes-la-Jolie. Nous avons mobilisé deux types de matériaux : des documents (documents de planification, études, comptes-rendus de réunions, délibérés, courriers, rapports administratifs, etc.) et des entretiens réalisés auprès des acteurs locaux (élus, techniciens, représentants de l'Etat, de bureaux d'études, etc.). Par ailleurs, afin de mettre l'accent sur les faits de la politique intercommunale, l'analyse s'appuie, pour chacun des terrains, sur l'étude de deux actions concrètes mises en œuvre au sein du périmètre intercommunal (couverture de l'autoroute A6b et opération de rénovation urbaine d'Arcueil-Gentilly pour le terrain CAVB ; aménagement de la ZAC Mantes Université et construction d'un pôle nautique pour le terrain CAMY). Enfin, une enquête réalisée par Marianne Ollivier-Trigalo sur le département du Val-de-Marne a permis de compléter l'analyse sur les interactions entre les différentes échelles de gouvernement local en questionnant le rôle d'une institution jusqu'à présent peu orientée vers l'urbain mais aujourd'hui de plus en plus sollicitée à participer aux politiques urbaines, en particulier dans les champs des transports et du logement. Les observations confirment largement l'hypothèse d'une absence d'autonomie politique des entités intercommunales, qui a pour pendant la défense forte par les élus de l'autonomie des communes, en particulier dans le champ de l'aménagement. Elles montrent par ailleurs que dans le contexte d'une forte segmentation géographique et sectorielle des compétences, les intercommunalités contribuent de manière indéniable à la régulation de la gestion publique territoriale. Trois dimensions nous permettent de caractériser le rôle des intercommunalités : - La première est stratégique. L'agglomération assume un rôle de représentation et de portage politique de projets, permettant aux communes d'accéder à des scènes de négociation avec l'Etat ou d'autres collectivités territoriales (département, Région), auxquelles elles auraient difficilement accès si elles s'y présentaient en ordre dispersé. L'enjeu ici est de gagner en reconnaissance, en crédibilité, par exemple pour obtenir des financements. Il s'agit de se positionner dans le cadre d'une concurrence territoriale plus ou moins vive, d'être reconnu comme un interlocuteur, un partenaire, par des acteurs appartenant à des institutions de rang supérieur ou à l'Etat. - La deuxième est politique. A travers la communauté d'agglomération, les acteurs locaux participent à la régulation politique de la gestion publique des territoires. Par régulation, nous entendons ici la manière dont les acteurs (publics) définissent des règles (par exemple des objectifs d'action, des seuils ou des normes qui s'appliquent au territoire intercommunal) et surtout s'entendent autour de l'application de règles communes. Nous montrons que cette régulation est un processus au sein duquel peuvent entrer en conflit des logiques opposées de définition des règles , mais qui se caractérise également par des adaptations ou des ajustements mutuels, des porosités entre échelles auxquelles contribuent activement les intercommunalités. - La troisième est cognitive. La seule part d'autonomie (relative) dont disposent les intercommunalités provient de leurs services techniques. La communauté d'agglomération, à travers son expertise propre, permet aux communes de coordonner leurs actions au sein d'un territoire plus vaste, de formuler de nouveaux problèmes, de proposer des solutions innovantes. Les services communautaires se glissent dans les interstices ou les délaissés des politiques communales pour travailler à la mise en cohérence des projets, voire proposer un " débordement " des intérêts communaux. Ces capacités d'innovation sont relatives, car elles restent soumises au contrôle politique des élus, au nom de la défense de la démocratie dont ils s'estiment garants à l'échelle de leur commune. Dans une approche purement technocratique, " hors sol ", de la problématique de la coordination territoriale et de l'articulation sectorielle de l'action publique, les capacités d'agir des intercommunalités sont généralement appréhendées à travers les compétences et les moyens qui leur sont alloués par la loi. Or, la réalité de l'action publique locale, saisie à travers les deux enquêtes de terrain, laisse entrevoir un système complexe de contraintes (découlant des conflits dans les logiques de régulation, de la fragmentation des dispositifs d'action ou des circuits financiers, ou encore du fragile équilibre entre innovation territoriale et démocratie communale), qui sont celles que les acteurs locaux expérimentent et en fonction desquelles ils participent à l'action collective. En prenant en compte cette complexité, nous avons voulu déplacer un regard trop souvent normatif sur l'intercommunalité (sur ce qu'elle devrait être, ou ce qu'elle devrait faire), car détaché des contraintes effectives de l'action.
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Dates et versions

halshs-00581164 , version 1 (30-03-2011)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00581164 , version 1

Citer

Caroline Gallez, Mariane Thébert, Thierry Vilmin, Marianne Ollivier-Trigalo. Habiter la ville, accéder aux territoires. : Articulations habitat-déplacements-développement économique dans les politiques d'aménagement intercommunales. Rapport final de contrat, L'intercommunalité à l'épreuve des faits, PUCA-MEEDDM, janvier 2011. 2011, 252 p. ⟨halshs-00581164⟩
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