Le march fait-il la ville? Ecole
thmatique dĠAussois 2010
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Anastasia Touati
Les systmes d'acteurs constitus autour des politiques de densification : quelles rationalits et quelles pratiques pour la fabrication de la ville ?
Cette communication sĠinscrit dans lĠaxe 2 : Ç Quelle logique marchande, quelle logique politique ? È.
Introduction
Parmi lĠensemble des politiques urbaines se rclamant du dveloppement durable, les mesures de densification urbaine[1] sont depuis plusieurs annes prsentes comme tant une des issues pour construire une ville moins consommatrice dĠespace et de ressources, comme en attestent les discours et les recherches sur la Ç ville compacte È (Charmes 2003 ; Fouchier 1998 ; Newman et Kenworthy 1999 ; Owen 1991).
En France, cĠest dĠabord le cadre lgislatif national[2] qui incite, voire oblige, de plus en plus mettre en place au niveau local des actions de densification. Notre regard se portant exclusivement sur les tissus dominante pavillonnaire, comment de telles politiques[3] sont-elles concrtement mises en Ïuvre dans ces tissus ? Quels sont les mcanismes (conomiques, fonciers, politiques et rglementaires, cognitifs ou encore lis la composition dmographique et sociale des quartiers considrs) sous-jacents ces politiques ? Comment peut-on caractriser les diffrents modes de gouvernance de ces dernires ? Telles sont les questions que nous abordons dans notre travail de thse.
Ds lors si, avec Patrick Le Gals, on dfinit la gouvernance comme Ç lĠensemble des arrangements et relations formels et informels entre intrts publics et privs partir desquels sont prises et mises en Ïuvre les dcisions È (Le Gals 1995), il sĠagit de sĠintresser, travers lĠanalyse du contenu des politiques de densification et de leur mise en Ïuvre, aux modes de coordination entre le Ç gouvernement È des territoires urbains (Etat et collectivits) et les diffrents groupes et rseaux dĠacteurs (acteurs privs, agents conomiques, reprsentants de la socit civile etc.) manant de la socit en vue de la densification ou de la non densification. Que nous apprend une telle analyse sur la contribution des acteurs privs (acteurs conomiques, mnages) la fabrication de la ville ?
LĠune de nos hypothses de recherche est que la densification des tissus pavillonnaires est dĠabord impulse par les acteurs privs (promoteurs, amnageurs-lotisseurs, mnages/particuliers, propritaires fonciers), notamment lorsque le march rsidentiel local est fortement valoris. Selon cette hypothse, le march et les intrts privs auraient une influence beaucoup plus importante que lĠaction des gouvernements traditionnels (Etat, collectivits) en matire de densification urbaine, les motifs de durabilit ne conditionnant pas vraiment les dynamiques de densification. Les cycles fonciers et
immobiliers dtermineraient ainsi fortement la production de la ville. Quelle peut alors tre la place dĠune politique publique par rapport un processus qui relve dĠabord dĠun mcanisme de march ?
Afin dĠapporter quelques lments de rponse nous esquisserons ici une premire analyse des politiques de densification mises en Ïuvre dans les tissus dominante pavillonnaire de deux communes franciliennes et notamment travers un clairage conomico-politique. Plus prcisment dans le cadre de cette communication, nous nous proposons dans un premier temps de mettre en lumire lĠapport dĠune approche par la micro-conomie urbaine pour comprendre les diffrentes rationalits lĠÏuvre dans la densification des tissus pavillonnaires. Nous montrerons ensuite quĠune premire analyse des politiques de densification (analyse du contenu des politiques et des jeux dĠacteurs qui portent cette politique et/ou en profitent ou la contestent) dans deux communes de la rgion parisienne, couple la comprhension des mcanismes conomiques sous-jacents la densification de tels tissus, permet de nuancer lĠhypothse que nous avons formule au dpart quant au caractre principalement conomique des processus de densification des tissus dominante pavillonnaire.
Mthodologie
Concernant le choix concret des tudes de cas, notre regard se porte exclusivement sur des espaces particuliers et encore peu investis dans les recherches sur lĠÇ amnagement durable È, savoir les tissus de type rsidentiel pavillonnaire. La densification de tels tissus constitue en effet un enjeu majeur, lĠheure o se multiplient les discours quelques peu idologiques sur les pavillonnaires et leur mode de vie (Charmes 2007 ; Roug 2005) mais galement du fait des surfaces urbanises en jeu.
Dans le cadre de notre travail de thse nous tudions donc les politiques de densification dployes dans les tissus dominante pavillonnaire de plusieurs communes de la rgion capitale, travers :
- lĠanalyse du contenu des politiques en question : PADD (Projet dĠAmnagement et de Dveloppement Durable) communaux ; PLU (Plan Local dĠUrbanisme) et lorsque cela est possible ses versions successives ; PLH (Programme Local de lĠHabitat) ;
- lĠanalyse du contexte morphologique, conomique et social de la commune (donnes foncires et conomiques ; donnes sur le parcellaire ; statistiques dĠvolution de la population ; statistiques dĠvolution des constructions) ;
- lĠanalyse des ressources crites diverses (compte rendus de conseils municipaux ; comptes rendus de runions de concertation ou de runions publiques ; blogs dĠhabitants ; livrets blancs de structures prives ; articles de presse ; etc.) ;
Paralllement, pour chacune des tudes de cas choisies, il sĠagit de mettre jour et dĠanalyser le systme dĠacteurs (lus ; techniciens des diffrentes collectivits, communale et supra communale ; responsables des Etablissement Publics Fonciers ; promoteurs ; bailleurs ; amnageurs ; constructeurs de maisons individuelles, associations dĠhabitants etc.) constitu autour de chacune des politiques de densification tudies. Pour cela, nous menons une campagne dĠentretiens semi-directifs auprs dĠun ensemble dĠacteurs lis la formulation et la mise en Ïuvre de la politique de densification en question. LĠobjectif nĠtant pas la reprsentativit, les tudes de cas slectionnes le sont davantage pour leur particularit et leur complmentarit dans lĠanalyse qui en est faite.
(1) La densification des tissus dominante pavillonnaire : un mcanisme de march ?
Nombreuses sont les tudes qui ont pour ambition de dterminer les cots dĠune urbanisation plutt dense ou plutt tale, et notamment ceux qui sont assums par la collectivit. La plupart de ces tudes conclue ainsi que lĠtalement urbain cote plus cher la collectivit quĠune urbanisation dense, notamment du fait de lĠaugmentation des cots dĠinvestissement dans les rseaux divers dĠune part, de lĠinefficacit conomique des services mesure que les distances augmentent dĠautre part (Guengant 1995 ; Halleux et al. 2003 ; Jaglin et May 2010). Mais ces tudes raisonnent la plupart du temps en termes de cots globaux (Castel 2006), sur un chelle de temps plus ou moins longue et ne donnent pas forcment dĠlments sur les calculs conomiques effectus par les oprateurs eux-mmes.
A lĠchelle dĠune opration par exemple, les tudes montrent que les cots de construction augmentent avec la densit et la taille de lĠopration en question (Morlet 2001 ; Piron 2007). Ceci met en vidence lĠavantage concurrentiel de la maison individuelle isole par rapport des oprations de logements plus denses (habitat intermdiaire, habitat collectif) en termes de cots de construction. DĠautre part, du point de vue du montage financier, plus la taille de lĠopration est importante, et plus lĠopration est dense, plus le risque financier de lĠopration est important (appel de fonds plus importants, ventes plus longues et moins sres). Pour les oprateurs, il faut de plus prendre en compte les effets de seuil qui incitent disperser les oprations pour viter des taxes ou des amnagements supplmentaires (Castel 2005).
Face ces diffrents constats, dans quel cas les acteurs ont-ils intrt densifier le tissu pavillonnaire ? Une tude de Jean Charles Castel (Castel 2005) montre que pour chaque type de mode opratoire (construction en diffus hors procdure, lotissement, habitat group, collectif[4]), la marge brute de lĠopration sĠamplifie avec la densit[5] et sĠeffondre la transition vers un mode plus dense. De mme il existe des conomies dĠchelle dans les cots dĠamnagement lorsquĠon densifie lĠintrieur de chaque mode. Comme le risque financier augmente avec la taille et la densit de lĠopration, les oprateurs ne peuvent couvrir ce risque que sĠil y a une valorisation importante du march immobilier. Le gonflement des prix constitue ainsi une sorte de garantie contre ces risques et permet lĠoprateur de dgager une marge plus importante. De mme, dans le cas dĠoprations en diffus hors procdures, les propritaires fonciers qui divisent et revendent une partie ou la totalit des parcelles divises voient leur rente foncire augmenter court terme par les mcanismes de densification dans les dents creuses, qui sont par exemple le fait dĠune augmentation des droits construire sur leur terrain suite une politique explicite de densification (Renard 2003).
Finalement dĠun point de vue conomique, on voit que la densification des tissus pavillonnaires (par des oprations de logements individuels denses ou par la mise en place de collectifs) peut tre intressante pour les acteurs (constructeurs, promoteurs voire particuliers) lorsque la pression foncire est suffisamment importante et permet de dgager une marge susceptible de couvrir les surcots engags par les oprations denses. Ces considrations laissent ainsi penser que lĠintrt de la densification dpend fortement du march immobilier local, sous rserve que cette densification soit permise par les documents dĠurbanisme qui traduisent la politique communale. On comprend alors combien il est important pour les diffrents acteurs privs dĠtre en phase avec la politique communale en question.
(2) Densification et action publique : quels outils pour quelles politiques ?
DĠaprs la littrature conomique, la densification des tissus pavillonnaires dpendrait fortement du march immobilier local. En pratique, quelle peut-tre lĠaction du politique pour favoriser ou encadrer un tel mcanisme de march ? On peut ici apporter quelques lments de rponse par une premire analyse des politiques de densification dployes dans deux communes de la rgion parisienne. Suite nos premires observations de terrain, nous avons discern au moins quatre modles[6] de politiques de densification ou de non densification dans les tissus dominante pavillonnaire, qui sont mettre en relation avec le systme dĠaction local de mise en Ïuvre de cette politique :
- une politique Ç douce È de densification, qui consiste utiliser les outils rglementaires[7] dĠincitation la densification destination majoritairement des particuliers voire des petites structures de promotion immobilire. Ces derniers, par divisions parcellaires et constructions successives Ïuvrent pour une densification progressive du tissu pavillonnaire existant ;
- une politique de type Ç interventionniste È de densification qui consiste par exemple acqurir le foncier de quartiers pavillonnaires pour mettre en Ïuvre un projet dĠamnagement dĠenvergure en remplaant les pavillons pas des immeubles dĠhabitation collectifs ;
- une politique Ç passive È qui permet aux acteurs privs (promoteurs, constructeurs, particuliers), du fait dĠune asymtrie dĠinformations de mettre en Ïuvre la densification sans que la commune ait en parallle une politique explicite de densification exprime dans son projet politique[8];
- une politique de type Ç malthusianiste È (Charmes 2007b) qui consiste bloquer tout dveloppement et donc toute densification du tissu pavillonnaire sous le motif par exemple de prservation du cadre de vie.
Dans chacun des idaux types voqus ci-dessus, la mise en Ïuvre de la politique fait intervenir un rseau dĠacteurs publics et privs qui organisent leurs rapports de force au sein dĠun systme local particulier de relations. Notre travail de terrain sur les politiques et processus de densification des communes franciliennes nous permet entre autres de creuser le cas de deux de ces types de politiques de densification. La premire (commune A) est une commune des Yvelines qui a mis en place une politique Ç douce È de densification, et ce de manire affiche, par la modification de son PLU en 2008. Depuis, la commune a vu son tissu pavillonnaire progressivement se densifier, principalement du fait de divisions parcellaires, dĠextensions des pavillons existants, de densifications dans les dents creuses. LĠanalyse des demandes de permis de construire dposes depuis 2008 montre que ce sont en majorit les particuliers qui ont profit des possibilits offertes par le PLU. Ils ont ainsi saisi lĠopportunit conomique que reprsente la construction en fond de parcelle, comme le reconnat lĠadjoint lĠurbanisme de lĠpoque :
Ç Quand on a prsent le projet (de modification du PLU), il y en a un certain nombre (dĠhabitants) qui ont vu quĠils venaient quand mme de gagner quelques euros au loto. È
CĠest donc en grande partie lĠintrt conomique qui est ici le moteur de la densification douce du tissu, cette dernire nĠayant pu tre dclenche que suite la mise en Ïuvre de la politique municipale. L le projet politique, par la modification du PLU, permet au mcanisme de march de sĠexprimer en mme temps quĠil lĠencadre.
La deuxime commune (commune B) quant elle est une commune du dpartement de la Seine–Saint-Denis bien desservie par les transports en commun. Le projet politique municipal y est trs clairement exprim (au niveau du PADD, et lors des entretiens avec les lus communaux) : il sĠagit en grande partie de renforcer le dynamisme conomique de la commune. Et la politique de densification de certains quartiers pavillonnaires de cette dernire participe de ce projet politique dĠensemble. L on a plutt affaire une politique de type Ç interventionniste È de densification, dans la mesure o la commune essaie de matriser au maximum le foncier afin de mettre en Ïuvre des projets dĠamnagement dĠenvergure. CĠest notamment le cas dĠun projet en cours de densification dĠun quartier pavillonnaire, dans lequel la commune prvoit dĠacqurir lĠensemble des parcelles du quartier (par la mise en place dĠune facult de surseoir statuer sur les demandes de permis de construire, par une utilisation du droit de premption urbain, voire par lĠexpropriation). La commune vend ensuite des droits construire aux promoteurs et bailleurs de la commune, et co-dfinit avec ces acteurs le projet dĠamnagement. Les questionnements dvelopps dans le cadre de la thorie des coalitions de croissance (Logan et Molotch 2007) peuvent ici sĠavrer utiles pour analyser la coopration qui sĠopre entre acteurs publics et privs en vue dĠamnager la ville. Il conviendra ainsi, la lumire des questions poses par cette littrature et de nos observations sur la formulation et la mise en Ïuvre des politiques de densification, dĠexaminer la thse selon laquelle cĠest la structuration des intrts conomiques qui polarise lĠaction publique urbaine.
En guise de conclusion, on peut dire ici que si le march et/ou les intrts privs semblent tres les moteurs principaux de la densification effective des espaces urbains, en premire analyse le politique peut nanmoins encadrer, empcher ou au contraire faciliter le mcanisme de march. La comprhension des mcanismes sous-jacents aux politiques de densification des tissus passe ainsi par une analyse fine du systme dĠaction concret responsable de lĠimplmentation relle du processus de densification.
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[1] Par mesures de densification urbaine, on entend ici les dispositifs qui visent augmenter la densit btie. Plus prcisment, on sĠintresse aux politiques de densification rsidentielle, la densit rsidentielle tant le rapport entre le nombre de logements et une surface donne.
[2] Que ce soit dans lĠexpos des motifs de la loi sur lĠair du 30 dcembre de 1996, qui instaure les plans de dplacement urbains, au niveau de la loi SRU (Solidarit et Renouvellement Urbain) dans laquelle la ncessit de densifier est explicite ou encore au niveau du projet de loi Grenelle 2 qui prvoit que les PLU (Plan Local dĠUrbanisme) puissent imposer des densits minimales de construction dans les secteurs proches des stations de transport en commun, on voit que la ncessit de densifier les espaces urbains existants est de plus en plus prgnante dans lĠaction publique urbaine.
[3] On sĠintresse aux processus de densification des tissus pavillonnaires et aux politiques qui encadrent ces processus, quĠil sĠagisse de politiques explicites de densification ou non.
[4] Les modes opratoires sont ici cit par ordre croissant de densit rsidentielle (nombre de logements sur la surface considre).
[5] Ici le nombre de logements par hectare.
[6] Il conviendra dĠaffiner, prciser voire rectifier au fur et mesure de lĠavancement de la recherche, ces modles type de politiques de densification.
[7] Les outils mis en place par les communes, qui permettent une densification, sont le plus souvent : la suppression du minimum parcellaire comme lĠincite la loi Solidarit et Renouvellement Urbain ; lĠaugmentation voire la suppression du COS (Coefficient dĠOccupation du Sol) ; les allgements rglementaires vis--vis des limites sparatives et des retraits par rapport la rue.
[8] Le projet politique peut par exemple tre exprim lĠoccasion de la rdaction du PADD (Projet dĠAmnagement et de Dveloppement Durable) ou de la justification des modifications apportes dans le PLU (Plan Local dĠUrbanisme).