Identité du groupe – identité de l'individu. De quelques noms collectifs humains - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2009

Identité du groupe – identité de l'individu. De quelques noms collectifs humains

Résumé

Nous nous intéressons ici à la construction de l'identité du groupe et de l'individu dans le cadre du rapport même groupe/individu (membre/collection), dans son expression lexicale : cet article porte donc sur le sens de certains noms collectifs humains. La question de l'identité apparaît comme centrale pour les noms collectifs (Ncoll). En effet, les définitions sémantiques des Ncolls mentionnent, outre une pluralité interne, un rassemblement des membres selon une ressemblance, une homogénéité ou l'appartenance à une même catégorie. Voici une de ces définitions : « Les noms collectifs sont des noms dont le singulier dénote une pluralité d'entités isolables, de même type et perçues comme un tout ». Ces caractéristiques peuvent être rapprochées des définitions générales de identité dans le Trésor de la Langue Française : la première acception renverrait à la similitude des éléments (membres), la deuxième à l'unité de la collection (synonyme consubstantialité) ; la troisième porte sur la permanence dans le temps, caractéristique qu'on peut également rapporter à la collection elle-même. La dualité du membre et de la collection trouve donc ici un écho dans la question de l'identité. En effet, si, à la différence d'une classe, le Ncoll ne suppose pas une stricte identité des membres, les caractères qu'ont les membres en commun doivent cependant être suffisamment forts (ou perçus comme tels) pour fonder le groupe, voire construire son identité. Par ailleurs, on sait que l'identité, ou la permanence, d'une collection est, dans une certaine mesure, indépendante de celle des membres de cette collection, mais dans une certaine mesure seulement, et différemment selon les Ncolls. C'est cette dialectique de la construction linguistique (lexicale et discursive) de l'identité du membre et de la collection que cet article se propose d'explorer, à propos de quelques Ncolls humains tels que peuple, ethnie, caste, tribu, race, communauté, population. Plusieurs critères justifient la sélection mentionnée : les Ncolls cités sont choisis parmi ceux qui opèrent un regroupement fonctionnel ou social, mais dont les membres n'ont pas de nom en français : en effet, en laissant de côté des rapports membre/collection tels que soldat/armée, spectateur/public, nous souhaitons interroger des cas où l'identité du groupe n'est pas supposée a priori reposer sur l'identité d'éléments préalablement isolés en langue. On peut supposer réciproquement que, pour les Ncolls qui n'ont pas de nom de membre, la représentation des caractéristiques des membres soit particulièrement sensible à celles du groupe. Nous laissons également de côté les Ncolls humains pour lesquels l'identité est conférée systématiquement de manière externe par la finalité même du regroupement (association, comité, auditoire), ou pour lesquels la constitution du groupe repose uniquement sur un point de vue axiologiquement marqué (lie, vermine, racaille). En bref, les Ncolls humains proposés plus spécifiquement à l'étude sont ceux pour lesquels, précisément, la question de la construction de l'identité se pose, dans le cadre même du rapport membre/collection. Cette question se pose tout d'abord du point de vue de la plus ou moins forte spécification de leur sens lexical. Ainsi par exemple, en regard de ethnie ou tribu, le mot population parait sous-spécifié du point de vue de l'identité, comme en témoigne le commentaire suivant : (1) « Le mot de « population » désigne un ensemble arbitraire d'individus. Quand je dis « population », cela peut désigner aussi bien les coiffeurs de Bombay que les membres de la CGT. » (André Langaney généticien, entretien 1996). En comparaison, des Ncolls comme droite, gauche par exemple, dans leur sens politique contemporain déterminent un espace fortement chargé de sens. Cette question se pose ensuite du point de vue de ce qui fonde le groupe et de ce qui se transmet du groupe vers les individus : l'identité du groupe est-elle première, comme cela parait être le cas pour la droite, la gauche ? En effet, il semble ici que les membres soient définis par leur appartenance même au groupe, comme en témoignent les expressions être de droite/de gauche ? Quelle est alors la part des caractéristiques des membres du groupe ? On observe enfin la construction de l'identité du point de vue de l'altérité, donc en termes d'opposition du groupe avec son entour, telle que discutée en (2) et (3) : (2) Qu'est-ce que la gauche et où s'arrête-t-elle ? (3) D'un point de vue historique, une tribu consiste en une formation sociale existant avant la formation de l'État. Beaucoup de personnes utilisent ce terme pour faire référence à des peuples ayant des modes de vie non européens ou des sociétés indigènes. (Wikipedia) Ainsi, également, le Ncoll communauté est-il « tourné » vers l'intérieur du groupe (ses membres) dans certains de ses emplois (notre communauté) et construit par opposition à son extérieur, par différenciation, dans d'autres constructions (la communauté musulmane/juive/corse/gay (de France) se distingue de la communauté nationale) : on trouve un indice de cette opposition dans l'association, dans les discours publics, de la structure [communauté + adjectif catégorisant] avec les mots intégration et intégrer. Sans prétendre épuiser le sens des Ncolls choisis, ni refonder une typologie de Ncolls humains, nous cherchons à cerner, à travers leurs emplois, les constructions dans lesquels ils entrent, mais aussi à travers la manière dont ils sont définis ou problématisés, comment ces noms opèrent la construction de l'identité, du point de vue du groupe, du point de vue de l'individu, ou encore sous l'angle de l'altérité vis-à-vis du groupe englobant. Nous recourons à des attestations issues de discours divers, en privilégiant les discours métalinguistiques et les commentaires métadiscursifs qui glosent ou problématisent les mots proposés ou leur emploi, ou encore les définissent dans un cadre disciplinaire (1) : dictionnaires, discours de vulgarisation scientifiques, discours de presse et d'experts dans la presse (tribunes), médiateurs de différents médias, courriers des lecteurs. A travers ces discours, qui dessinent un sens, scientifique ou fantasmé, des Ncolls sélectionnés, c'est bien la question de la construction de l'identité qui se trouve posée : identité du groupe en relation à celle de l'individu, et identité du groupe en relation à ce qui n'est pas lui.

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Citer

Michelle Lecolle. Identité du groupe – identité de l'individu. De quelques noms collectifs humains. Sylvester N. Osu, Gilles Col, Nathalie Garric, Fabienne Toupin. Construction d'identité et processus d'identification, Peter Lang, pp.309-332, 2009, 978-3034303569. ⟨halshs-00510862⟩
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