Les marqueurs de spatialité, précurseurs de l'action intersubjective : le cas du français parmi d'autres langues - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2010

Les marqueurs de spatialité, précurseurs de l'action intersubjective : le cas du français parmi d'autres langues

Didier Bottineau

Résumé

Problématique Les théories actuelles de la perception visuelle établissent que l'être humain, en tant qu'observateur de son environnement (espace, objets, personnes), en catégorise les éléments par « couplage sensori-moteur » : reconnaître une chaise, c'est associer inconsciemment et dans l'instant le percept visuel à l'ensemble des percepts des autres sensorialités et des actions motrices accomplies dans l'expérience anacquise et mémorisées en rapport avec les objets analogues (s'asseoir, la déplacer, la renverser, la ranger, la proposer à un invité, etc.) ; par cet acte dynamique de semiosis inévitable, culturellement partagée par la vie en société, cognitivement inévitable dans le dépassement de la sensation, la perception détermine l'ensemble prototypique des actions possibles, contrôlables ou non, désirables ou non, issues du sujet humain ou de l'objet considéré (pour un animé) auxquelles il faut se tenir activement disposé et/ou passivement prêt, condition nécessaire pour une réactivité efficace de l'individu, qu'elle soit ordinaire ou vitale. L'espace environnant et son contenu sont ainsi conceptualisés en un ensemble « d'affordances » (les « faisables », anglais afford « se permettre ») ; les représentations des faisables sont autant non langagières, issues de l'expérience pragmatique individuelle, que langagières, relayées par le discours collectif qui les concerne, les deux étant enchevêtrées du fait que la parole est de même nature : perception et action. La linguistique cognitive (au sens très large, américain et européen) réserve une large place à la spatialité et la prise en compte de l'expérience dans la formation des représentations langagières (par la métaphore notamment), mais reste focalisée sur le visuel et une conception du sujet comme observateur du monde plutôt que comme participant : l'espace est perçu comme une ressource concrète pour l'abstraction via la métaphore, et comme un paramétrage de l'interaction. On se propose de montrer ici que la conceptualisation immédiate de l'espace perçu est, plus crucialement, la construction d'un terrain d'action, et que la parole, elle-même action, vectorise la coordination intersubjective et en termes rituels socialisés des actions possibles dans un environnement donné, rendant possible la formation des groupes, l'harmonisation des projets, la gestion des conflits, la progression et renégociation des positions de chacun, au propre et au figuré. Dans ce processus, les marqueurs de la spatialité jouent un rôle privilégié. La présente étude se propose de montrer comment le français présente des marqueurs spatiaux qui prédéfinissent la nature des faisables conventionnels et, de ce fait, coordonnent les interactions pratiques entre les individus : les démonstratifs (ce livre : cet objet que je te présente comme « livre » et avec laquelle nous allons interagir d'une manière ou d'une autre ; vs le livre : concerne la mémoire plus que l'action. Les déictiques spatiaux (je suis ici ! / là !), les impersonnels (Tiens, il pleut / Qu'est-ce que ça pleut, dis-donc !) ; les prépositions (le chat est sous la table : caché, difficile à atteindre, prêt à un mauvais coup ?) et emplois dérivés ou métaphoriques conservant ce type de mise en scène spatiale (sous clé) ; les verbes de mouvements, déplacements et transactions, y compris réflexifs (Tiens ! où la prise de conscience est assimilée au don réflexif d'un objet issu du monde spatial que l'on s'approprie). La pièce jointe est simplement évoquée, mais le document ci-joint est celui sur le lecteur aura à agir (vérification, signature, réexpédition...). Dans un morceau de blues connu on trouve en anglais I can play this here guitar (intraduisible littéralement - ce n'est pas cette guitare-ci au sens contrastif), où here confirme de la capacité du locuteur à passer à l'action – je sais jouer de la guitare, j'en ai une bien en main, et je vous défie de m'en séparer : le recours au spatial coordonne et différencie les possibilités pragmatiques respectives des sujets confrontés. On illustrera ce type de stratégie par des exemples littéraires et théâtraux français. Résumé court On envisage l'espace comme la perception / conceptualisation partagée d'un environnement intersubjectif où se coordonnent les actions individuelles, et l'espace verbal, comme un espace secondaire reconstruit, spécifié à travers l'action verbale même, où se redéfinissent collectivement, selon des rites socialisés, les possibilités de chacun à travers les protocoles d'attribution d'agentivité véhiculés et sédimentés par les marqueurs grammaticaux : les marqueurs spatiaux coordonnent l'accès à l'espace comme ressource ou terrain de l'action concertée. A partir des principaux marqueurs spatiaux (déictiques, adverbes, prépositions) on proposera une typologie de la prise en compte de l'expérience de l'espace immédiat (de l'interlocution) et de la connaissance de l'espace médiat (représentation mémorisée et conceptualisée du monde que nous partageons) dans la planification des faisables (affordances) particuliers (poursuite du discours et du dialogue, planification de l'action sémantique et pratique) et généraux (métaphores, figements). L'étude se concentrera sur le français et mentionnera des exemples issus d'autres langues pour leur pertinence particulière et leur singularité typologique. Biographie Didier Bottineau est Chargé de Recherches au CNRS (MoDyCo, Université Paris Ouest, France). Il développe une théorie de la parole, des langues et du langage fondée sur l'expérience sensori-motrice individuelle en environnement social : la parole est un enchaînement d'actions sensibles permettant de coordonner la séquence d'expériences cognitives et sémantiques des individus au sein des groupes. Le lexique, la morphologie, la syntaxe, la prosodie, la gestualité, la proxémique sédimentent des aspects particuliers de ce protocole culturel qui se développe et évolue spontanément, formant les communautés. Didier Bottineau en appréhende la diversité à travers des langues diversifiées (romanes, germaniques, celtiques ; basque ; eskimo ; japonais) et en explore l'universalité à travers les convergences formelles et comportementales (théories des cognèmes). Didier Bottineau a rédigé une thèse en linguistique anglaise (Temps, aspect, modalité : systématique de l'infinitif anglais, 1999 ; Directeur : Pierre Cotte, Université Paris IV, Sorbonne) et exercé comme Maître de Conférences à Rennes avant d'entrer au CNRS (CRISCO, Université de Caen, puis MoDyCo, Nanterre). Il développe la théorie des cognèmes et œuvre à la coordination de la typologie linguistique, des linguistiques cognitives et des nouveaux paradigmes en sciences cognitives (cognition distribuée, enaction). Bibliographie sélectionnée (liste complète dans document joint en pdf) (2009 MAG) « La morphosyntaxe allocutive du sens grammatical », Revue de Sémantique et Pragmatique 19/20, 71-98. (2009 LAE), « Language and enaction », Stewart, J., Gapenne, O. & Di Paolo, E. (eds), Enaction: towards a new paradigm for cognitive science, MIT, sous presse. (2005 PVA), ACTI « Périphrases verbales et genèse de la prédication en langue anglaise », LE QUERLER Nicole et BAT-ZEEV SHYLDKROT Hava (dir.), Les périphrases verbales, Lingvisticæ Investigationes Supplementa 25, Benjamins, 475-495. (2003 ANG), ACTI « Les cognèmes de l'anglais et autres langues », OUATTARA, Aboubakar (éd.), Parcours énonciatifs et parcours interprétatifs, Théories et applications, Actes du Colloque de Tromsø organisé par le Département de Français de l'Université, 26-28 octobre 2000, Ophrys, Gap, France, 185-201.

Domaines

Linguistique
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-00469056 , version 1 (01-04-2010)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00469056 , version 1

Citer

Didier Bottineau. Les marqueurs de spatialité, précurseurs de l'action intersubjective : le cas du français parmi d'autres langues. Espace et Enonciation, Mar 2010, Jendouba, Institut Supérieur de Sciences Humaines, Département de Français, Tunisie. ⟨halshs-00469056⟩
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