Mais qu'est-ce donc que la balâgha ?
Résumé
La traduction usuelle de balâgha (ici mis pour ‘ilm al-balâgha, à peu près « science de l'efficience ») par « rhétorique » peut être la meilleure ou la pire des choses. La pire, si l'on projette sur la balâgha ce qu'est étymologiquement la rhétorique et qu'elle fut pendant des siècles –un art oratoire– ou ce qu'elle est finalement devenue –la rhétorique restreinte aux figures. La meilleure, si c'est l'occasion d'une comparaison et d'une confrontation. Au demeurant, une telle comparaison est nécessaire dans l'espace musulman classique, où coexistent deux discours « rhétoriques » : l'un, la khatâba, est « l'une des sciences logiques », l'autre, la balâgha, est « une des sciences de la langue arabe », en adoptant la terminologie d'Ibn Khaldûn, m. 808/1416, dans la Muqaddima : 2006 marquant le 600ème anniversaire de sa mort, nous prendrons le chapitre qu'il consacre dans son grand œuvre à la rhétorique comme texte de référence. La Logique étant une partie de la falsafa, le premier se désigne donc comme une rhétorique « philosophique ». Il prolonge au premier chef la Rhétorique d'Aristote, s'en présentant comme un commentaire, mais sans la répéter, ne serait-ce que parce que la cité islamique n'est pas la cité grecque. Est-ce à dire que l'autre, la balâgha, se désigne comme une rhétorique « littéraire » ? L'objet de la présente contribution est double : d'une part donner une vue aussi synthétique que possible de la balâgha dans son état final ; d'autre part montrer qu'au fil du temps la balâgha sera de mieux en mieux intégrée au corps des disciplines théologico-juridiques en islam, se comportant, par rapport à elles, comme un véritable ars ancillaris. Nous soulignerons en particulier son rôle dans deux domaines : celui, bien connu, en théologie, où elle alimente le dogme du 'i‘jâz al-Qur'ân (« inimitabilité du Coran »); celui, moins connu, en droit, où elle constitue l'armature de l'herméneutique juridique. Pour être complet, il faudrait également mentionner l'intersection balâgha/tafsîr que constitue le commentaire coranique de Zamakhsharî (m. 538/1144) et qui n'a pas échappé à Ibn Khaldûn.
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