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Chapitre d'ouvrage Année : 2007

"Ruptures" dans le dialogue de cinéma

Résumé

Dans une précédente étude et à l'instar du dialogue de théâtre, nous avions déjà pu observer, dans le dialogue de cinéma, une transposition de la plupart des phénomènes de conversation, notamment certains faits de production de la parole, autoréparations, bredouillements, répétitions, reprises, petits mots du discours...
Le dialogue de cinéma, en tant que représentation de l'oral, reproduit les caractéristiques de langage qui s'éloignent de la norme de l'écrit, pour chercher à donner du « naturel », de l'authenticité, à la conversation des personnages. Les spectateurs auront ainsi l'impression que les discours sont élaborés au fur et à mesure comme dans une conversation réelle. Une des questions que l'on peut alors poser est celle du caractère « réaliste » ou artificiel de cette représentation de l'oral spontané.

Parmi les différents aspects du français parlé, la problématique de la « phrase » inachevée, extrêmement fréquente, sera traitée prioritairement : il s'agit de ces nombreux énoncés entamés par des locuteurs qui ne les « terminent » pas ; la structure grammaticale est tronquée.
Les énoncés qui sont inachevés dans le langage courant le sont plus souvent parce que le locuteur cherche le meilleur moyen dans le temps de la conversation pour traduire le mieux possible sa pensée et élaborer son discours. Le locuteur s'arrête, se reprend, recommence, parfois même abandonne la construction de mots qu'il commençait à mettre en place.
Les auteurs-scénaristes ne cherchent pas seulement à donner plus de « naturel » aux propos des personnages en reproduisant ces phénomènes ; ils utilisent « dramatiquement » ces faits de la parole qui ne sont jamais produits de façon aléatoire (sans un but précis ).
Le travail sur ces données issues du dialogue de cinéma devrait donc nous permettre d'éclairer les recherches descriptives, en réduisant la part de subjectivité dans l'interprétation des faits, puisque chaque « inachèvement » est la plupart du temps écrit par l'auteur ; il est prévu et utilisé à l'intérieur d'un scénario.
1. Définition du domaine d'observation
Les énoncés qui donnent une impression d'inachèvement sur le plan formel, sont de plusieurs sortes :
- Les subordonnées sans verbe recteur
Antoine : quand tu penses qu'on donne des millions par an à ces nullards comment est-ce qu'on peut monter ça comme ça (Corpus Le Goût des Autres)
- Les Auto-réparations : la structure donne une impression d'incomplétude quand, par exemple, un verbe (ou même un pro-verbe) n'est pas suivi d'un complément canonique. :
Castella : (...) mais mais les gens non mais les gens en général c'est c'est ils préfèrent quand quand quand c'est drôle + à mon avis vous devriez faire du comique (Corpus Le Goût des Autres)
C'est la seule rupture qui peut être le fait du travail de l'acteur. (cf. Teston, 2001, 2002).
- Les ruptures involontaires : le locuteur est interrompu par un interlocuteur ou par un événement extérieur ; le chevauchement de tour de parole, par exemple, permet d'avoir un critère objectif pour identifier ce type de rupture.
- Les autres types de ruptures: ici, il n'y a ni chevauchement de tour de parole, ni marques prosodiques spécifiques montrant que le locuteur veut garder la parole, la rupture est définie formellement « en négatif », par l'absence de certaines marques. Le locuteur n'a pas obligatoirement eu l'intention de donner une suite, et il n'est pas interrompu. Des marques prosodiques « implicatives » peuvent alors désigner ce type d' »inachèvements » (Martin, 1999 ; Martin & Deulofeu & Boulakia, 2001).
L'un des critères retenu dans les études antérieures, indique que l'élément tronqué peut aussi s'exprimer sur le même schéma prosodique -en plus court- que l'énoncé canonique rétabli (quand il est possible de le retrouver), tels que les exemples fabriqués entre parenthèses ci-dessous :
ils font Polytechnique et après ils croient que
(ils croient qu'ils sont les plus forts)

Moreno : quand tu te retrouveras dix-huit mois en prison tu auras l'air fine avec tes beaux discours
Manie : pourquoi tu vas me dénoncer +
Moreno : bon allez j'y vais parce que là vraiment
(parce que là vraiment je n'en peux plus)

Les deux premiers types de « ruptures » ont fait l'objet d'études importantes et nombreuses auxquelles nous renvoyons. Le troisième type (interruptions dues à un événement extérieur) ne trouve pas place dans le cadre descriptif de cette contribution.
Le dernier type de ruptures en revanche nous questionne davantage, puisque, très souvent, l'interlocuteur prend appui sur ces structures « incomplètes » pour poursuivre le dialogue. Nous devons donc chercher des critères d'identification, en plus des critères prosodiques, pour étudier ces unités de communication étranges que nous réalisons tous, et qui ne sont pourtant que des segments tronqués, une séquence coupée sur le plan grammatical. Nous les nommons formes courtes vs formes longues.
2. Méthodologie
Pour l'analyse, nous nous intéresserons donc à ces formes courtes qui créent des unités de communication complètes puisqu'elles sont suffisantes pour l'interlocuteur : celui-ci peut s'appuyer sur l'énoncé inachevé pour poursuivre de façon cohérente le dialogue (Deulofeu, Debaisieux, 2001). Et s'il demande malgré tout une suite, il le fait pour obliger le locuteur à dire ce qu'il ne voulait pas dire.
Ce sont les questions d'ordre syntaxique qui seront approfondies en priorité afin d'examiner la structure formelle des formes courtes et prendre en compte l'organisation des récurrences, les contraintes, les régularités, en terme de comportement grammatical (micro-syntaxe) comme de la syntaxe discursive (macro-syntaxe) (Blanche Benveniste, 1990, 1997).

Quand on aura donné des critères d'identification syntaxique, on pourra alors se demander pourquoi certains énoncés inachevés créent une unité de communication complète, alors que d'autres combinaisons de mots inachevées ne suffisent pas pour en réaliser une. On examinera alors les aspects sémantiques, pragmatiques, conversationnels, discursifs. (Debaisieux, 2001 ; Gülich, 1986).
Conclusion
L'examen objectif des faits à partir du dialogue de cinéma fournit des pistes sérieuses de travail pour l'étude de ces phénomènes dans les dialogues de conversation authentiques, essentiellement parce que l'écriture cinématographique leur donne une saillance particulière.
L'objectif à poursuivre est de pouvoir décrire et classer ces phénomènes oraux issus des dialogues de cinéma pour tenter d'établir des règles formelles syntaxico-sémantiques à propos des mêmes phénomènes rencontrés dans les conversations réelles.
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Dates et versions

halshs-00361720, version 1 (16-02-2009)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00361720 , version 1

Citer

Sandra Teston-Bonnard. "Ruptures" dans le dialogue de cinéma. Mathias Broth, Mats Forsgren, Coco Norén & Françoise Sullet-Nylander. Le français parlé des médias, Acta Universitatis Stockholmiensis, pp.687-700, 2007. ⟨halshs-00361720⟩
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Dernière date de mise à jour le 13/04/2024
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