Archives de l'Est - HAL Accéder directement au contenu
Ouvrages Année : 2003

Archives de l'Est

Résumé

La relative ouverture, à l'heure actuelle, des archives des polices secrètes des régimes communistes est, d'abord et avant tout, le résultat de l'articulation entre une volonté citoyenne et une réponse politique apportée à cette dernière. Par volonté citoyenne, on entend la double revendication de chaque personne de savoir si elle a fait l'objet, lors de la période communiste, d'une surveillance policière et, si c'est le cas, d'accéder à son propre « dossier personnel ». La lecture de ces dossiers, d'une longueur variable selon les cas, revêt toujours un caractère hautement émotionnel, et parfois même traumatisant. Mais, généralement, la volonté de se réapproprier son propre passé est supérieure à la « peur de savoir » (Ulrike Poppe). Ainsi, en Allemagne puis en Pologne, ce souci de permettre aux citoyens d'accéder à leurs documents a conduit à la création d'institutions spécifiques, dont la recherche scientifique ou universitaire n'est pas la priorité, et dont aucune ne porte le nom d'« Archives ».
La création de ces institutions a cependant pris, dans les deux pays, une allure bien différente. Dans le cas allemand, la mobilisation des citoyens est-allemands puis le relatif consensus présent dès la chute du régime quant à l'ouverture des archives ont conduit au vote de la « loi sur les dossiers de la Stasi » (StUG) dès le mois de décembre 1991, et à la création consécutive d'une institution « chargée au niveau fédéral des documents de la Stasi » (BStU). En Pologne, en revanche, il a fallu attendre le mois de décembre 1998 pour que soit votée une loi du même type, et créé « l'Institut pour la mémoire nationale » (IPN) chargé entre autres de l'administration et de la conservation des dossiers de l'ancienne police politique de la République populaire.
Cette « ouverture citoyenne », rapide dans le cas allemand et plus tardive dans le cas polonais, est étroitement liée aux contextes politiques des deux « transitions démocratiques » : une « révolution autolimitée » avec des négociations entre une opposition puissante et le pouvoir, suivie par une continuité étatique en Pologne et la disparition pure et simple de l'État est-allemand, absorbé par la République fédérale, en Allemagne. Ces deux contextes politiques ont eu des effets importants sur les différentes voies empruntées par la législation, les pratiques concrètes d'accès aux archives, ainsi que sur les débats historiographiques et sur les recherches portant sur la période communiste en général (Agnès Bensussan, Dorota Dakowska, Nicolas Beaupré).
Douze ans après l'ouverture des archives du communisme, ce dossier, issu d'un colloque franco-germano-polonais organisé au Centre Marc Bloch en avril 2002, souhaite apporter un éclairage sur ces logiques politiques et scientifiques étroitement liées et tenter un bilan des débats scientifiques et du renouvellement historiographique qui ont suivi cette ouverture.
En effet, dans le cas allemand en particulier, « l'ouverture citoyenne » des archives de la Stasi a été à l'origine d'une double illusion. La première fut de croire que celle-ci se traduirait par une ouverture totale des fonds aux chercheurs. Thomas Lindenberger montre bien que le choix prioritaire – légitime en soi – de l'accès immédiat des citoyens à leurs dossiers a eu des répercussions sur la recherche scientifique. Ainsi, si les chercheurs peuvent accéder à des documents très récents – ce qui n'aurait pas été le cas si les archives de la Stasi avaient été soumises au délai légal de trente ans – si de nombreux documents ont sans doute été sauvés de la destruction par l'ouverture immédiate – à la différence du cas polonais où il est impossible d'évaluer l'ampleur de ces destructions – la BStU est, de fait, loin de satisfaire aux « standards de l'archivistique ». Dans ce contexte, Konrad H. Jarausch plaide pour une « historicisation critique » qui permette à la fois le travail scientifique et la « mise à plat » (Aufarbeitung) du passé.
La seconde illusion fut de penser que l'énormité et l'exhaustivité de ces fonds pourraient permettre de traiter de tous les sujets, de faire une histoire totale de la RDA à partir de ces seuls fonds. Or, se limiter aux fonds de la Stasi conduit à réduire la période communiste à une lutte continue entre deux pôles minoritaires, l'opposition et l'appareil de sécurité, sans tenir compte de l'ensemble du tissu social. T. Lindenberger montre que si le recours aux fonds de la BStU demeure indispensable pour comprendre les logiques de domination de part en part (Durchherrschung) de la société, il ne peut se faire sans la mobilisation d'autres sources. L'auteur prend notamment l'exemple des archives de la « police traditionnelle », la Volkspolizei ou de celles des organes centraux du Parti et des ministères. Penser les archives policières en tant que source, c'est ainsi également en interroger la valeur heuristique pour une histoire sociale de la domination qui pourrait être une alternative à la polarisation entre une histoire politique dominée par le paradigme totalitaire d'un côté, et une histoire « sociale » sous-estimant le caractère effectivement contraignant de la domination communiste de l'autre (K. H. Jarausch).
Ce peut être aussi montrer, en creux lorsqu'il est quasi impossible d'accéder à ces sources, qu'il demeure possible d'étudier la répression en mobilisant d'autres sources que les archives policières (A. Paczkowski). Ainsi, en Pologne, le recours à des archives de la période communiste autres que celles issues de l'appareil de sécurité a tout d'abord permis de compenser le déficit chronique dans l'accès aux sources opérationnelles de l'ancienne police politique. L'article d'Andrzej Paczkowski permet précisément de saisir ce qu'est une historiographie du communisme longtemps privée des fonds de l'appareil policier, souvent encore « protégé » par une définition du « secret d'État » reprise par le nouvel État démocratique avec les archives de l'ancien régime. Pas plus qu'une histoire trop exclusivement centrée sur de telles sources, elle ne semble parvenir à éclairer toutes les facettes politiques, sociales et culturelles de la période communiste.
Ce dossier a ainsi également pour but de montrer quelles conséquences en termes scientifiques et mémoriels peuvent avoir des décisions politiques, comme celles sur la fermeture ou encore l'ouverture de fonds d'archives. Il fait en particulier apparaître de manière patente les liens d'interdépendance entre la construction et le traitement des objets de recherche scientifique, les choix politiques dans le court ou le moyen terme, ainsi que la construction des mémoires collectives dans le long terme.
Loading...
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-00289073, version 1 (19-06-2008)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00289073 , version 1

Citer

Dorota Dakowska, Agnès Bensussan, Nicolas Beaupré (Dir.). Archives de l'Est. Belin, pp.176, 2003. ⟨halshs-00289073⟩
124 Consultations
0 Téléchargements
Dernière date de mise à jour le 06/04/2024
comment ces indicateurs sont-ils produits

Partager

Gmail Facebook Twitter LinkedIn Plus