Quelques remarques sur les échanges de services et l'appropriation de l'ordre politique en Bulgarie communiste - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2006

Quelques remarques sur les échanges de services et l'appropriation de l'ordre politique en Bulgarie communiste

Résumé

Les quelques réflexions proposées ici ont vocation à s'inscrire dans le prolongement de recherches effectuées sur la structuration du champ politique et les pratiques politiques dans la Bulgarie d'après-1989 et, plus particulièrement, sur les échanges de faveurs (uslugi) en politique. Ces travaux avaient en effet suggéré la faible autonomisation du politique par rapports aux univers économiques et sociaux et la centralité, dans les entreprises de légitimation des acteurs politiques, de l'usage d'une terminologie et de pratiques - les services rendus - empruntées au registre des interactions sociales. En d'autres termes, les échanges politiques étaient réinsérés dans des relations quotidiennes productrices de sens et énoncés principalement en référence aux relations de loyauté et de réciprocité nouées dans ce cadre. Cet enracinement dans le social participait dans le même temps à d'une insertion dans une historicité spécifique : les échanges de faveurs ne constituaient pas un répertoire d'action propre au post-communisme, mais étaient présentés par les électeurs et les élus comme une composante essentielle dans la régulation communiste. Il convenait dès lors d'effectuer un retour vers l'époque communiste pour tenter de mettre en perspective les éléments de ruptures et de continuités reliant l'avant à l'après-1989.

Dans le traitement de l'expérience communiste, la démarche suivie s'inscrit dans un effort pour éviter deux écueils opposés - la tendance à une réification des transformations impulsées pendant l'ère soviétique (fréquente chez les tenants d'une interprétation des régimes soviétiques en termes de totalitarisme), d'une part, la tentation d'une élision de ce qui serait réduit à une simple " parenthèse communiste ", d'autre part. Dans les analyses des années 1990 consacrées à l'Est de l'Europe, cette élision est intervenue par plusieurs truchements : imprégnées de volontarisme politique, les premières études des transformations post-communistes ont mis l'accent sur les conjonctures fluides et les fenêtres d'opportunités ouvertes à des acteurs politiques pouvant mettre en œuvre des transformations radicales. Le passé communiste ne pesait guère dans ces analyses dites " transitologiques " ; le comparatisme de l'entreprise invitait en outre à minorer les spécificités de l'ancien espace soviétique. Au fur et à mesure que les " transitions " s'étiraient en " consolidations " plus ou moins réussies - pour reprendre la terminologie alors en vogue -, il fallut bien reconnaître l'existence, par-delà les variables stratégiques, des paramètres d'ordre historique.

Aux approches volontaristes des débuts succédèrent alors des lectures culturalistes où la longue durée surdéterminait les dynamiques politiques et sociales. Appliquée aux Balkans, cette grille de déchiffrage donna à voir des élites destinées à réitérer sans fin les balbutiements des démocraties avortées de l'entre-deux-guerres pour cause d'héritage ottoman, de multiethnicité malaisée et/ou de latences islamistes. Pas plus que la transitologie première manière, ces recherches n'abordaient de front la question des effets propres aux systèmes communistes : cette fois, les schémas explicatifs étaient recherchés dans une histoire longue au regard de laquelle les décennies soviétiques étaient quasiment négligeables. Pour des raisons différentes, les deux thèses nous laissent pauvrement équipés pour comprendre la façon dont les projets marxistes-léninistes sont venus s'insérer dans les histoires particulières des Etats-récepteurs et les formes de réappropriation auxquelles ils ont donné lieu.

Loin de toute linéarité historique, les éléments présentés ici ont vocation à suggérer des pistes de recherches qui pourront aider à cerner les recompositions politiques et sociales intervenues après 1989. L'intérêt d'un détour pour la période communiste réside en l'occurrence dans la spécificité des interactions entre espace public et privé, d'une part, entre sphères politiques et économiques, d'autre part, observées à cette époque. En Bulgarie - et plus généralement à l'Est -, le communisme a en effet obscurci les contours du politique : dans un système où l'Etat-parti s'était arrogé le contrôle des moyens de production comme des circuits de distribution, tout bien ou service (depuis l'obtention d'un appartement jusqu'à l'achat d'une voiture, en passant par l'accès à l'enseignement supérieur ou la nomination à des postes de responsabilité en entreprise) était politique en tant que son acquisition requérait la mobilisation de réseaux liés au parti unique. Dans quelle mesure le déploiement des échanges de faveurs a-t-il partie liée avec ce façonnage particulier du champ politique ?
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-00147595 , version 1 (18-05-2007)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00147595 , version 1

Citer

Nadège Ragaru. Quelques remarques sur les échanges de services et l'appropriation de l'ordre politique en Bulgarie communiste. Le post-communisme dans l'histoire (ss. dir. Sandrine kott, Martine Mespoulet et avec la collaboration d'Antoine Roger), PUB, pp.51-62, 2006. ⟨halshs-00147595⟩
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