Multigroup, une trajectoire entrepreneuriale dans la construction du capitalisme bulgare
Résumé
Né à la fin des années 1980, Multigroup a connu un développement rapide au cours de la décennie suivante pour venir embrasser une gamme d'activités allant du commerce de produits énergétiques (gaz, pétrole, électricité, charbon, en particulier) et de denrées alimentaires (notamment le sucre et le blé) au secteur des mines et du tourisme en passant par la vente d'antiquités et le jeu. En termes d'illégalismes, la palette couverte par Multigroup a connu des évolutions sensibles : pendant les premières années des changements, elle était réputée aller de l'usage de méthodes commerciales agressives (corruption de membres de l'appareil d'Etat et de l'élite politique, intimidation, chantage et menaces sur les concurrents économiques, règlement violent des différends économiques) à une implication dans des réseaux de contrebande (voitures volées, pétrole, sucre, etc.). Après 1998, le groupement a été affaibli par plusieurs investigations policières et fiscales liées aux efforts de réaffirmation du contrôle de l'Etat sur les relations bulgaro-russes dans le domaine du gaz naturel - un secteur dans lequel Multigroup avait cherché à s'imposer comme un intermédiaire incontournable. Pour faire face au renforcement de la législation encadrant les activités économiques, à l'ouverture croissante de l'économie bulgare aux investissements étrangers lors de la grande privatisation et à l'émergence de nouveaux concurrents locaux, I. Pavlov a procédé à une réorganisation des activités de son groupe et adopté une stratégie de communication axée sur la professionnalisation et la contribution du " capital national " au développement de la Bulgarie. Suite à la victoire électorale de Siméon de Saxe-Cobourg Gotha, en juin 2001, le conglomérat a connu un regain de visibilité en raison des très bonnes relations affichées avec Ahmed Dogan, le président du Mouvement des droits et libertés (MDL, représentant la minorité turque et membre de la coalition gouvernementale) et du soutien que Multigroup aurait apporté à l'entrée en politique de l'ex-roi. De nouvelles ambitions ont été affichées dans le secteur du tourisme, de l'énergie et des infrastructures - correspondant à la dernière phase des privatisations et aux financements européens. Au moment du décès de son fondateur, Multigroup ne possédait cependant plus qu'une cinquantaine de sociétés en Bulgarie.
L'exemple de Multigroup fournit un site d'observation intéressant à plusieurs égards : il invite d'abord à réfléchir aux trajectoires individuelles des nouveaux entrepreneurs privés en soulignant le rôle joué par les représentants de l'ancienne Sûreté d'Etat (Dăržavna sigurnost, DS), les milieux de sportifs et la nomenklatura économique dans la naissance de conglomérats soupçonnés d'activités criminelles; il permet aussi d'interroger la nature des relations entre groupements économiques, sociétés de sécurité privée et milieux criminels. A un second niveau, à travers Multigroup se pose la question des rapports entre, d'une part, l'introduction des mécanismes économiques du marché, la redéfinition de l'insertion internationale de la Bulgarie, la recomposition des modes d'intervention de la puissance publique et, d'autre part, les mutations dans les pratiques d'accumulation économique et d'exercice du pouvoir. Afin d'explorer ces dynamiques, on procèdera en trois temps qui recoupent grossièrement les principales étapes du développement du groupement économique (1989-1994, 1995-1997, depuis 1997) : on reviendra d'abord sur les conditions de formation de Multigroup, son recrutement et ses activités. Dans un second temps, on essaiera de réfléchir aux interactions entre milieux économiques et politiques, ainsi qu'aux effets des politiques économiques sur les stratégies des entrepreneurs criminels. Sera notamment testée l'hypothèse d'une criminalisation de l'Etat et étudiée l'importance de la nouvelle économie politique du pouvoir dans l'élucidation de la place des entrepreneurs criminels au sein de l'ordre émergent. Enfin, la troisième partie cherchera à appréhender les modalités de légitimation des nouveaux entrepreneurs dans l'économie de marché naissante. Cette dernière étape de la réflexion nous amènera à voir l'extrême réactivité des entreprises aux changements d'opportunités politiques, légales et économiques intervenus principalement après 1997, avec l'introduction d'un directoire monétaire du FMI, une plus grande ouverture à la concurrence internationale et la préparation de l'entrée dans l'Union européenne. Elle permettra également d'aborder les processus de redéfinition des activités relevant d'un registre criminalisé et la transformation des représentations de la réussite sociale en Bulgarie post-communiste.
L'exemple de Multigroup fournit un site d'observation intéressant à plusieurs égards : il invite d'abord à réfléchir aux trajectoires individuelles des nouveaux entrepreneurs privés en soulignant le rôle joué par les représentants de l'ancienne Sûreté d'Etat (Dăržavna sigurnost, DS), les milieux de sportifs et la nomenklatura économique dans la naissance de conglomérats soupçonnés d'activités criminelles; il permet aussi d'interroger la nature des relations entre groupements économiques, sociétés de sécurité privée et milieux criminels. A un second niveau, à travers Multigroup se pose la question des rapports entre, d'une part, l'introduction des mécanismes économiques du marché, la redéfinition de l'insertion internationale de la Bulgarie, la recomposition des modes d'intervention de la puissance publique et, d'autre part, les mutations dans les pratiques d'accumulation économique et d'exercice du pouvoir. Afin d'explorer ces dynamiques, on procèdera en trois temps qui recoupent grossièrement les principales étapes du développement du groupement économique (1989-1994, 1995-1997, depuis 1997) : on reviendra d'abord sur les conditions de formation de Multigroup, son recrutement et ses activités. Dans un second temps, on essaiera de réfléchir aux interactions entre milieux économiques et politiques, ainsi qu'aux effets des politiques économiques sur les stratégies des entrepreneurs criminels. Sera notamment testée l'hypothèse d'une criminalisation de l'Etat et étudiée l'importance de la nouvelle économie politique du pouvoir dans l'élucidation de la place des entrepreneurs criminels au sein de l'ordre émergent. Enfin, la troisième partie cherchera à appréhender les modalités de légitimation des nouveaux entrepreneurs dans l'économie de marché naissante. Cette dernière étape de la réflexion nous amènera à voir l'extrême réactivité des entreprises aux changements d'opportunités politiques, légales et économiques intervenus principalement après 1997, avec l'introduction d'un directoire monétaire du FMI, une plus grande ouverture à la concurrence internationale et la préparation de l'entrée dans l'Union européenne. Elle permettra également d'aborder les processus de redéfinition des activités relevant d'un registre criminalisé et la transformation des représentations de la réussite sociale en Bulgarie post-communiste.