La nouvelle administration<br />Vol. 1 : L'information numérique au service du citoyen<br />Vol. 2 : Le social administré - HAL Accéder directement au contenu
Ouvrages Année : 2006

La nouvelle administration
Vol. 1 : L'information numérique au service du citoyen
Vol. 2 : Le social administré

Résumé

Depuis une quinzaine d'années environ, confrontée à une crise de légitimité persistante, à la montée en puissance de nouveaux outils et, parallèlement, de nouveaux besoins exprimés tant par les usagers que les fonctionnaires, l'administration a entrepris un vaste travail de réforme. Plus qu'un énième changement, cette transformation semble si importante que l'on a pris l'habitude de ranger ses réalisations sous le vocable de « nouveau ».

La question de « la nouvelle administration » ne renvoie pas nécessairement aux débats envahissants sur le New Public Management, ou en tout cas pas nécessairement à une discussion en théorie des propositions et des outils du NPM. La nouvelle administration évoque, plus prosaïquement, une administration qui tente d'intégrer au quotidien une série de changements. Dans cette perspective, les principes et les recettes du NPM ne jouent que pour une part, car ces évolutions sont largement tributaires des structures, des organisations et des fonctionnements déjà installés. La nouvelle administration n'est pas un archétype d'« administration moderne ». C'est l'administration telle qu'elle cherche notamment à intégrer le saut technologique de l'informatisation des données administratives et des relations électroniques avec une large partie de ses publics d'un côté et, de l'autre, de la nécessité de faciliter l'accès aux droits et aux services des plus précaires, par plus d'action sociale. Ces enjeux, très différents, sont souvent rapprochés pour signaler un risque de schizophrénie. L'image est bien particulière, car la modernité administrative est peut être aussi de savoir organiser les activités et les emplois entre automatisation et individualisation des « process », entre traitement de masse et traitement au cas par cas, en évitant les travers de l'un et de l'autre.

Les numéros 86 et 87 (qui paraîtra en mars 2007) de Recherches et Prévisions cherchent à faire le point sur l'administration en prise avec son changement, en l'abordant à la fois sous l'angle de l'information numérique au service du citoyen et du social administré. Plus qu'un inventaire des changements en cours, il s'agit de comprendre les enjeux de part et d'autre et leurs liens.

L'administration en ligne se banalise. Le ministère des Finances s'affranchit du papier, le Journal officiel passe au multimédia, les préfectures immatriculent les véhicules par Internet. La Sécurité sociale n'est pas en reste puisque l'usage de la carte Vitale se développe alors que les caisses d'Allocations familiales (CAF) communiquent à partir de leur site et échangent de plus en plus par courriel avec leurs allocataires, comme le font par ailleurs la plupart des banques ou des assurances avec leurs clients. La surprise n'est donc pas là, malgré la nouveauté des technologies de l'information et de la communication appliquées aux échanges administratifs. En revanche, ce qui paraît à la fois plus neuf et plus important est l'acceptation de ces changements, au point de penser aujourd'hui que la « fracture numérique », pourtant un temps redoutée , n'aura probablement pas lieu. A cet égard, les résultats présentés dans le numéro 86 consacré à l'information numérique rassurent plutôt.

De même, la pratique de l'Internet se diffuse si rapidement qu'il n'y a pas – ou plus - à craindre l'exclusion des plus précaires de son usage, nous dit Laëtitia Roux-Morin à partir d'une enquête menée dans des CAF. Or, comme l'indiquent les observations de Pierre Mazet tirées du travail des techniciens conseils des caisses, si d'un côté l'administration en ligne est acceptée et si de l'autre des gains réels de productivité et de qualité du service rendu sont constatés, la voie semblerait donc ouverte pour progresser vers ce type d'administration. Or, des progrès restent à accomplir. C'est ce que montre bien l'exemple, pour le moment unique en Europe, de la Banque carrefour de la sécurité sociale (BCSS) en Belgique. Grâce à un usage systématique du partage de données individuelles entre administrations, cette initiative permet de réaliser, entre autres, des gains budgétaires considérables, sans rien rogner à la qualité de traitement des demandes. Mais dans ce pays, la question majeure du numéro unique d'immatriculation à la Sécurité sociale et de celle, non moins cruciale, des garanties à apporter aux individus en cas de regroupement ou de croisement d'informations, ont été clairement réglées comme le précisent Frank Robben, Thierry Desterbecq et Peter Maes.

Ce point de vue positif porté sur l'administration électronique contient néanmoins des interrogations qui laissent percevoir plusieurs risques courus autant pour les administrations que pour les publics. Tout d'abord, il ne faut pas créer de fausses idées sur les résultats produits ou à attendre. En effet, il n'est pas certain du tout que les administrations réduisent les autres formes de communication, et fassent en particulier des gains substantiels sur les modes encore traditionnels de contact que sont l'accueil, le téléphone ou le courrier. Ces derniers restent toujours des activités centrales qui ont besoin de personnel suffisant et qualifié, sinon le risque est grand de provoquer, par le passage à une administration en ligne la déshérence institutionnelle des territoires, dont les dangers en termes d'inégalités sociales et de création de zones de non droit sont signalés depuis des années . L'Internet est donc un nouveau mode de contact qui ne peut se substituer aux autres. En tout cas, le retour d'expérience n'est pas encore suffisant pour noter un changement radical dans les modes d'accès des usagers à l'administration. De même, il faut donc tempérer les espérances en matière d'économies escomptées, comme il faut également bien évaluer l'étendue les difficultés à résoudre ou à contourner.

Sur ce plan, toujours du côté des administrations, Henri Oberdorff rappelle utilement que la question centrale de la protection des individus et des libertés a bien progressé. Elle est cependant loin d'être entièrement réglée. Les garanties à apporter ne concernent pas seulement la communication avec l'usager, elles doivent également porter sur les échanges entre organisations d'informations le concernant. Cette « interopérabilité » des bases de données relatives aux publics, c'est-à-dire les capacités techniques que se donnent les administrations de s'échanger des informations compatibles d'un système informatique à un autre, représente, du fait de ses potentialités, un enjeu considérable pour l'organisation et le fonctionnement des administrations agissant en partenariat. L'explicitation de cet enjeu, dans le cas de la branche Famille que l'on doit à Jean-Luc Bossu, aide à saisir les questions politiques liées à l'homogénéisation des informations administratives et au besoin d'appariement de bases de données dans le but d'accroître la connaissance sur les publics et sur les activités. En effet, l'administration par l'information renvoie à la fois à l'Internet et aux bases de données, à la communication administrative avec les usagers et à la production sur eux d'informations partagées entre organisations. L'administration en ligne ne supporte donc qu'une partie du changement vers une nouvelle administration, l'autre étant incontestablement portée par l'objectif de l'interopérabilité des bases de données à partir de laquelle des politiques différentes peuvent être pilotées. Or selon le versant sur lequel on se situe, ce ne sont pas les mêmes types d'administration que l'on construit.

On le voit en comparant les textes sur la France et ceux sur la Belgique et les Pays-Bas. En France, où la problématique de l'interopérabilité n'est pas aussi développée, les projets d'administration en ligne sont davantage mis en avant et soutiennent pour l'essentiel des objectifs conjoints de qualité et d'efficience, autour de la rapidité et de la fiabilité des informations circulant des administrations vers les publics et réciproquement. En Belgique, mais aussi au Pays-Bas, à travers l'expérience rapportée par Marie-Pierre Hamel, une politique de « droits automatiques » est beaucoup plus affirmée. D'une certaine façon, on est davantage sur le contenu des prestations que sur les formes de l'activité de prestation. Les cas belge et néerlandais montrent, en l'occurrence, que l'administration par l'information et notamment par l'interopérabilité favorise, sinon crée, les conditions institutionnelles qui pèsent ensuite sur le contenu des politiques publiques. En Belgique, le modèle d'interopérabilité que constitue aux yeux même de la Commission européenne la création de la BCSS pousse à une certaine recentralisation du régime de protection sociale dans un système paritaire où l'Etat était secondaire sinon subsidiaire, de façon (c'est ce qui est affirmé) à mieux garantir l'accès de chacun à ses droits légitimes. En revanche aux Pays-Bas, la mise en place localement de systèmes automatisés d'accès aux droits contribue à la déconstruction d'une protection sociale unifiée par l'Etat en 1945, dans lesquels le contrôle prend notablement le pas sur la générosité.

En France, quelle(s) politique(s) sera visée en priorité à travers l'interopérabililité qui se met en place non pas par la loi (comme en Belgique) mais par l'innovation des organisations (comme le montre Jean-Luc Bossu) ? Se dirige-t-on vers une politique de gain de productivité des services, de contrôle des usagers ou d'accès aux droits sociaux ?

La partie consacrée au social administré présentée dans le numéro 87 de Recherches et Prévisions apporte des indications sur le nouveau modèle d'administration qui est probablement en préparation dans ce pays.

Pour une large part, l'administration en partenariat qui découlera de cette gestion de la communication et des informations administratives dépendra de l'organisation décentralisée qui servira de matrice générale. En effet, la réflexion sur la nouvelle administration ne peut, concernant la France, faire l'économie d'une prise en compte des réaménagements de relations entre l'Etat, les collectivités locales et notamment les CAF, dans la mesure où ceux-ci appellent à administrer différemment le social. De ce point de vue, éclairé par Michel Borgetto et Robert Lafore, la situation actuelle paraît incertaine. Déjà, les départements, vers lesquels convergent de plus en plus la charge des politiques sociales, se heurtent à des problèmes de capacités budgétaires mais aussi d'expertise. On les nomme « chef de file », mais ils ne maîtrisent pas ou mal les règles du jeu, les dépenses et encore moins les techniques de gestion. L'exemple traité par Cyprien Avenel de la décentralisation (ou plutôt de la déconcentration) du RMI montre bien toutes ces difficultés. Mais au-delà, ces contributions indiquent surtout que la décentralisation pourrait conduire à une dispersion des politiques publiques et précipiter ainsi la fin d'un modèle de protection sociale solidaire, dès lors que les collectivités locales commanderaient l'accès aux systèmes de prestations et d'aides sociales. Le lien avec les progrès techniques de l'administration se fait ici et il est loin d'être neutre dans la façon choisie d'administrer le social. Ces techniques de communication et d'interopérabilité servent déjà directement la mise en œuvre de politiques de contrôle proactive (comme dans le cas de la branche Famille). Mais elles peuvent également aider une politique d'activation de politiques sociales en donnant notamment la possibilité de durcir le recouvrement d'indus (ce que tentent certains Conseils généraux en matière de revenu minimum).

La question qui se pose est alors de savoir si le contrôle/sanction est la seule façon pour une administration par l'information d'intégrer le social. Ce n'est pas évident nous dit Pierre Mazet, après avoir observé la résistance des agents d'accueil des CAF face aux indicateurs de maîtrise de flux et leur volonté de favoriser une approche globale des allocataires. Sauf que pour faciliter une politique d'accès de tous aux droits sociaux partant d'une administration par l'information, encore faut-il une volonté politique suffisante. C'est toute cette difficulté que pointe Jean-Michel Belorgey. Il montre ainsi que les lois engagent finalement assez peu les administrations à connaître leurs publics et à suivre avec autant d'attention les problèmes de non accès total ou partiel aux droits que les problèmes inverses de trop perçus. Or, une administration moderne peut-elle méconnaître autant ses publics et notamment ses publics en difficulté, se demande Philippe Warin, et se désintéresser d'une mesure de la non qualité, s'interroge Andréa Caizzi ? Ici, la question des choix politiques et des moyens à mettre en œuvre se superpose à celles des techniques. La nouvelle administration résultera des choix présidant à leur emboîtement. De ce fait, si on peut sans conteste parler de « nouvelle » administration, il est donc beaucoup plus difficile de décrire avec certitude quels seront le contenu et les orientations de ses politiques.
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Dates et versions

halshs-00125279, version 1 (18-01-2007)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00125279 , version 1

Citer

Philippe Warin. La nouvelle administration
Vol. 1 : L'information numérique au service du citoyen
Vol. 2 : Le social administré. CNAF, 86, 87, pp.109 et 98, 2006, Recherches et Prévisions, Gilles Nézosi. ⟨halshs-00125279⟩
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Dernière date de mise à jour le 05/05/2024
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