La réduplication chez l'enfant avant 2 ans : du formatage à la valeur - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2003

La réduplication chez l'enfant avant 2 ans : du formatage à la valeur

Résumé

La réduplication chez l'enfant avant 2 ans : du formatage à la valeur

L'objet de cette étude est de montrer le rôle de la réduplication dans le développement du langage chez l'enfant, et le lien que l'on peut établir entre ce phénomène et les acquisitions phonologiques, morphologiques et lexicales.
Pendant la période du babillage, il est difficile d'attribuer des intentions de communication spécifiques aux premières réduplications de l'enfant : les syllabes sont dupliquées exactement de la même manière, constituant des séquences syllabiques (Stark 1986). Ces premières productions sont le reflet de contraintes mécaniques et peuvent être considérées comme le résultat de l'alternance rythmique entre des mouvements d'ouverture et de fermeture de la bouche (Mac Neilage & Davis 1990). Cependant, les premières séquences contenant des réduplications constituent des « formats » qui peuvent aider l'enfant dans la construction de sa propre phonologie. Dans une perspective cognitive, ce type d'activités phonatoires, ludiques et exploratoires, lui permettent de découvrir les régularités phonologiques de sa langue maternelle.
On peut observer que même à un âge très précoce, les enfants marquent une nette préférence pour les configurations binaires (réduplication simple), spécialement en situation d'interaction avec un adulte. Les premiers mots des enfants sont généralement caractérisés par une harmonie consonantique (« gâteau », réalisé [tato]), ou par la réduplication (« auto », réalisé [toto]), cette dernière constituant l'un des principaux procédés de simplification chez l'enfant (Dore 1976, Brigaudiot & Danon-Boileau 2002).
Au cours des stades précoces de développement phonologique et lexical, les enfants qui choisissent de suivre un mode de développement plurisyllabique utilisent la réduplication (Fee & Ingram 1980), ce qui peut être analysé comme une étape transitionnelle permettant à l'enfant d'allonger ses productions vocales. Par conséquent, la réduplication préfigurerait la forme typique du mot (Bortolini 1993). Dans ses travaux, Bruner (1984) mentionne un lien entre le concept de format et la valeur sémantique des dissyllabes. Par ailleurs, certains auteurs ont noté l'importance psychologique de la répétition dans le passage des énoncés à un mot aux énoncés à plusieurs mots (Veneziano, Sinclair & Berthoud 1990). On passerait donc d'une réduplication liée à des contraintes physiologiques et mécaniques, et à des activités d'expérimentation ludique, à une réduplication liée à la conscience phonologique, morphologique et lexicale de la langue.

Afin d'étudier la réduplication dans le langage de l'enfant, nous avons constitué un corpus longitudinal, composé d'enregistrements audio et vidéo d'un petit garçon français en interaction avec sa mère, de l'âge de 0 ;2 à 1 ;10, à raison d'une demi-heure tous les quinze jours. Les données ont été entièrement transcrites : les productions vocales de l'enfant au moyen de l'API, ses gestes et mimiques ont été codés et ses intonations analysées à l'aide du logiciel Anaproz (développé par un ingénieur de l'Université Paris III). Nous avons ensuite constitué une base de données informatisée regroupant toutes les données du corpus.
Nous nous sommes demandées quelles fonctions pouvait avoir la réduplication d'un phonème ou d'une syllabe au cours du processus d'acquisition du langage chez l'enfant et comment ce phénomène pouvait participer à la construction du lexique. Nous avons procédé à une analyse systématique des occurrences de phonèmes simples (comme [m]), en comparaison avec les occurrences de suites de phonèmes rédupliqués [m m m] dans des contextes similaires. Les résultats de notre étude indiquent qu'après l'âge de un an, on peut relever trois types de réduplication dans notre corpus :
1 – aux alentours de un an, lorsque l'enfant tend un objet ou sa main vers l'adulte, il produit parfois deux sons identiques. Le second son est souvent réalisé avec une intensité plus importante, une intonation différente et/ou est accompagné d'un geste différent de celui qui accompagne la première unité. Dans ce cas, les deux sons forment deux unités distinctes et sont séparés pas une pause de 70 centisecondes environ. Nous pouvons parler de fonction « expressive » de la réduplication (Bloch 1921).
à 1 ;4 : l'enfant tend sa main vers un sac
Enfant – [m intensité faible, m intensité forte]

2 – L'enfant utilise un autre type de réduplication, avec des unités séparées par des pauses de 70 centisecondes, pour énumérer des référents. Dans ce cas, il produit autant d'unités que de référents. La réduplication a une valeur iconique, qui pourrait constituer un processus pré-grammatical et préfigurer l'usage du pluriel.

à 1 ;5 : L'enfant ramasse des dominos et les pose un par un sur le canapé
Enfant – [pose un domino m, pose un domino m, pose un domino m, pose un domino m]

3 – Quelques mois plus tard, l'enfant semble utiliser une autre forme de réduplication pour référer aux objets ou aux personnes. Dans certains contextes, la réduplication de sons consonantiques [m m] ou vocaliques [i i] permet à l'enfant d'établir un format rythmique du signifiant (composé de deux syllabes, comme le sont « papa » et « maman »), pouvant être utilisé pour désigner toutes sortes de référents. L'enfant produit deux sons identiques [i i] ou [u u], séparés par une pause très courte. Cette configuration peut être analysée comme une seule unité, de type lexical. La réduplication peut donc constituer un outil pour la construction du lexique dans la mesure où elle permet à l'enfant de produire un format général du signifiant (format prosodique), qui reste le même pour tous les référents.

à 1 ;7
Mère – tu dis bonbon ?
Enfant – [m m] avec la même intonation que sur le mot « bonbon » de la mère

Nous comparerons ces trois types de réduplication dans le langage de l'enfant, en nous appuyant sur des extraits de notre corpus, notre objectif étant de confronter nos résultats avec ceux des études sur les fonctions de la réduplication chez l'adulte, et des études antérieures sur la réduplication chez l'enfant. Nous essaierons de relier les deux premiers types de réduplication de notre corpus aux valeurs attribuées à la réduplication dans de nombreuses langues, à savoir les valeurs intensive, affective, de pluralité, d'achèvement ou de continuité. Le troisième type de réduplication, quant à lui, semble être spécifique à une stratégie particulière d'acquisition du langage.

Mots clés

Domaines

Linguistique
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-00125174 , version 1 (18-01-2007)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00125174 , version 1

Citer

Marie Leroy, Aliyah Morgenstern. La réduplication chez l'enfant avant 2 ans : du formatage à la valeur. 2003, pp.45-57. ⟨halshs-00125174⟩
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