Les transports ferroviaires en Rhône-Alpes : naissance d'une politique régionale - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Autre Publication Scientifique Année : 2006

Les transports ferroviaires en Rhône-Alpes : naissance d'une politique régionale

Alain Faure

Résumé

En Rhône-Alpes, l'histoire de la régionalisation des transports ferroviaires montre une certaine passivité du conseil régional face aux opportunités progressivement accordées aux régions en matière de transports jusqu'à la fin des années 80. Au début des années 90 cependant, une conjoncture politique inédite change la donne avec l'entrée au parlement régional des écologistes en position de partis charnière, avec aussi un renouvellement des élites politiques régionales et le volontarisme affiché de son nouveau président. La Région s'engage alors fermement dans la voie de l'expérimentation Häenel. Par la suite, la prise de compétence régionale contribue à fixer et à structurer définitivement les cadres d'un style rhônalpin. Ce style se caractérise en matière de transports par une double volonté de crédibilité technique et de vision régionalisée des problèmes. Le SRT de 1997 illustre cette dynamique avec ses orientations politiques pour les décennies à venir. Malgré une parenthèse politique (1998-2004) où l'exécutif régional s'est trouvé sans majorité stabilisée, les négociations du CPER 2000-2006 confirment l'élan et sont l'occasion de mettre les investissements ferroviaires à la même hauteur que les investissements routiers. Les conventions avec la SNCF et avec RFF permettent d'établir des règles du jeu très détaillées entre l'AOT, son exploitant et le maître d'ouvrage du réseau.

La Région affirme ainsi progressivement son autorité dans la gestion de sa nouvelle compétence en phasage direct avec sa configuration géographique et politique. Rhône-Alpes est la deuxième région française en termes de population et de taille, avec un nombre conséquent d'institutions infra régionales sur son territoire (8 départements, 223 Etablissements Publics de Coopération Intercommunale, 2879 communes). Le relief de son territoire concentre les infrastructures et les populations dans les vallées, souvent au coeur des périmètres d'action des AOT urbaines. A ce maillage institutionnel dépendant du relief se superpose un maillage important d'infrastructures de transports dans lequel les voies de chemin de fer n'occupent qu'une place marginale. Aussi la Région s'engage-t-elle après quelques tâtonnements dans une activité de coordination pour mieux appréhender la concentration des problèmes de transports autour des agglomérations situées dans les vallées. Le rôle marginal joué par l'Etat déconcentré lui permet de s'engager pleinement dans cette entreprise de positionnement et d'affirmation.

Au-delà de ces spécificités, la région Rhône-Alpes partage une communauté de problèmes et d'objectifs avec les autres régions. Côté difficultés, on peut noter le retard de réalisation du CPER 2000-2006 lié à des erreurs d'estimation et au manque de mûrissement des projets. Côté objectifs, qu'il s'agisse du cadencement, de l'intermodalité tarifaire ou de la rénovation des gares, les projets connaissent des états d'avancement divers (si Rhône-Alpes s'est par exemple lancée très récemment dans la mise en place du cadencement, elle mène en revanche depuis plusieurs années des expériences de tarifications multimodales avec un nombre croissant d'AOTU).

En termes de doctrine ferroviaire, nous avons identifié une série d'indicateurs transversaux qui convergent pour décrire le développement d'une capacité d'expertise autonome. A la différence d'autres régions, Rhône-Alpes a explicitement choisi de ne pas recourir au savoir-faire de la SNCF et de constituer son propre « corps » de techniciens (souvent recrutés dans les universités lyonnaises). Un autre élément de doctrine concerne la réorientation urbaine du projet régional : la Région passe d'une vision « Intercités » à une vision où les priorités et les financements en faveur des transports ferroviaires s'articulent essentiellement autour et dans les agglomérations. C'est dans ce cadre que l'idée d'intermodalité est clairement promue. Parallèlement, on observe le souhait de la Région de renforcer son envergure internationale avec la promotion du Lyon-Turin et avec son implication dans la conférence des « quatre moteurs pour l'Europe ». En matière de fret, la politique peut être qualifiée de résiduelle dans la mesure où le service Transports de la Région préfère visiblement se concentrer sur sa compétence Voyageurs. Dans les discours officiels enfin, on observe l'utilisation de quelques mots d'ordre récurrents comme la durabilité environnementale (liée aux contraintes géographiques fortes et au poids déterminant des groupes écologistes au sein de l'assemblée régionale) et sur la concertation citoyenne (englobée sous le terme générique de « démocratie participative »). Ces mots d'ordre sont l'occasion de construire un discours public et participent à l'affirmation de l'identité rhônalpine.

Depuis 2004, la Région affiche une forte volonté de régionaliser les problématiques de transport. Le changement est visible à l'étude des grands récits sur l'intérêt régional qu'elle développe en matière de transports durables. Il est aussi perceptible à l'analyse de sa capacité d'expertise indépendante pour entrer de plain-pied dans les controverses techniques et pour argumenter des orientations auprès des différents partenaires. Dans le même élan, la mise en place d'une concertation des usagers aux allures d'ancrage territorial stratégique lui permet de publiciser et de routiniser sa présence et ses leviers d'intervention auprès d'une grande diversité de partenaires. De manière ostensible (un discours sur l'intérêt général) ou plus détournée (une certaine instrumentalisation de la concertation des usagers), l'action régionale se construit dans sa capacité de négociation avec les partenaires infra régionaux. Il semble que la logique de projets phares pilotés par la Région laisse place à une élaboration concertée de multiples projets de moindre visibilité au sein des arènes métropolitaines. Cette démarche imprègne la politique des transports à base de rigueur technique, de construction d'une doctrine régionale homogène et, plus récemment, de mise en coordination des actions des partenaires infrarégionaux.

En définitive, l'exemple rhônalpin permet d'esquisser l'émergence d'un mode d'être régional (comme on a pu parler du mode d'être de l'Etat) caractérisé par la singularité des liens tissés avec la population, avec les milieux experts et avec les autres collectivités locales. Depuis 15 ans, la Région Rhône-Alpes fonctionne ainsi comme un laboratoire à la fois contraint et innovant, favorisant un processus de différenciation où l'imbrication entre les choix techniques et l'action politique révèle une alchimie subtile et éminemment territorialisée.
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-00113273 , version 1 (22-11-2006)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00113273 , version 1

Citer

Alain Faure, Gilles Debizet, Guillaume Gourgues. Les transports ferroviaires en Rhône-Alpes : naissance d'une politique régionale : Programme de Recherche LMVT, LATTS, PACTE, MRTE, INRETS Lille, CIRUS-CIEU, CEPEL. 2006. ⟨halshs-00113273⟩
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