Les Classes moyennes à la dérive - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Ouvrages Année : 2006

Les Classes moyennes à la dérive

Résumé

En France, les classes moyennes font face à un grand renversement. S'il est trop tôt pour dire que leur crépuscule s'annonce ou pour pronostiquer leur fin, elles sont confrontées aujourd'hui à des incertitudes croissantes. 21 avril 2002, « Non » au référendum Européen de mai 2005, mouvement contre le CPE, etc. les signes de ce malaise ne manquent pas, où s'exprime un profond refus. Rien de commun avec les temps heureux du sacre des classes moyennes, à l'époque où elles voulaient « changer la vie ».
« Classe moyenne » n'est pas une appellation d'origine contrôlée. Le mot est incertain et signifie, dans différents pays et dans le temps, des groupes concrets clairement disjoints. Cette incertitude terminologique est une grande force en période d'expansion, comme dans les années 1970 : chacun peut s'y reconnaître. Les sources d'une hétérogénéité appelée à exploser en temps de crise sont dévoilées par un nouveau cadastre des classes moyennes, qui explique comment l'espoir d'y accéder se change en angoisse panique d'en être déchu.
La crise des classes moyennes a avant tout des sources objectives, réelles, inscrites dans les grandes tendances de changement de la société française. La crise économique, renforcée depuis 1984, remet en cause le cercle vertueux des trente glorieuses (1945-1975). Stagnation économique, inégalités croissantes, incertitudes et illisibilité de l'avenir contribuent ensemble à corroder le modèle objectif d'une société de classes moyennes, faute d'enrichissement, d'homogénéité, de visibilité du lendemain.
Pour affiner le diagnostic, il faut surtout saisir la dynamique générationnelle à l'œuvre, à la fois complexe et tragique. Le problème objectif est en effet moins celui des quinquas et sexagénaires que celui de leurs propres enfants, dont une masse grandissante fait face aujourd'hui à un véritable déclassement social. Même si les jeunes adultes de 2006 disposent en moyenne de deux années d'études en plus, ils sont la première génération qui, en période de paix, fait moins bien que ses parents au même âge. Cette interruption du modèle de mobilité sociale ascendante de génération en génération est le point névralgique de la crise des classes moyennes, dont beaucoup seront exclus. Les jeunes générations font face à une tension nouvelle, souvent invivable, entre le flot croissant des candidats (par les diplômes et les origines sociales) et un nombre déclinant de places. Chômage, précarisation, déclassement, dépendance de la famille, incapacité à s'assumer, sont des soucis qui ne s'arrêtent pas quand les enfants ont 25 ans. Même si les familles développent d'intenses stratégies de solidarité, le résultat collectif est que la méritocratie régresse et que l'effet « fils à papa » s'impose dans de nombreux secteurs d'activité. Mais souvent, les problèmes des enfants deviennent ceux des parents.
Cette crise objective se double de difficultés peut-être plus graves encore, à terme, car elles concernent le modèle d'individualisme typique de 1968, dans son idéal prométhéen d'émancipation égalitaire. Cet individualisme hédoniste et solidaire, qui avait constitué pendant trente ans la colonne vertébrale idéologique des classes moyennes, et qui avait servi de repère à la société française dans son entier, est confronté à de profondes contradictions. Dire que la liberté est faire ce que l'on veut, et non ce dont on a les moyens, est irresponsable, tout comme imposer un modèle d'autodétermination radicale à ceux qui ne disposent pas des ressources culturelles et moins encore des moyens économiques nécessaires.
Tel quel, le modèle d'individualisme de 1968 est obsolète, et sans son renouvellement, les classes moyennes devront renoncer à donner à la société ses idéaux, à la stabiliser, et à assumer un rôle déterminant dans la démocratie telle que nous la connaissons. Il s'agit de fonder un nouvel humanisme, sans lequel un autre livre devra être écrit : « le cauchemar des classes moyennes », qui sera aussi celui de la société française.

Domaines

Sociologie
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-00102577 , version 1 (02-10-2006)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00102577 , version 1

Citer

Louis Chauvel. Les Classes moyennes à la dérive. Le Seuil, pp.110, 2006, La république des idées, 9782020892445. ⟨halshs-00102577⟩
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