Références de cet article
Animateur(s)/auteur(s) du sujet : Lionel Laslaz
Rédacteurs(s) du texte: Yann Calbérac, Cécile Michoudet
Numéro du document: 832
Date de publication: 8 mars
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Café de la cloche, 8 mars 2006
Formes, réformes et méformes des Parcs Nationaux français
En marge du débat parlementaire, les Cafés géographiques lyonnais s’intéressent eux aussi à l’avenir des Parcs Nationaux français...

Pour décrypter les enjeux de ce dossier complexe, les cafés géographiques lyonnais reçoivent Lionel Laslaz, PRAG à l’Université de Savoie (Chambéry) et auteur d’une thèse soutenue en 2005 à Chambéry, intitulée Les zones centrales des Parcs Nationaux alpins français (Vanoise, Ecrins, Mercantour) : des conflits au consensus social ? Contribution critique à l’analyse des processus territoriaux d’admission des espaces protégés et des rapports entre sociétés et politiques d’aménagement en milieux montagnards.

Etat des lieux ... d’un statu quo

L’avenir des Parcs Nationaux français est aujourd’hui en débat. Un projet de loi est en cours de discussion au Parlement : l’Assemblée Nationale a voté un texte le 1er décembre 2005 et le Sénat le 1er février 2006. Le rapport de la commission mixte paritaire a été déposé le 1er mars 2006. C’est l’aboutissement d’initiatives déjà anciennes qui ont toutes avorté : en mai 1983 est remis le rapport Pisani (du nom de l’ancien ministre de l’agriculture qui préside le groupe de réflexion sur les Parcs Nationaux) ; en 1994, Michel Barnier (Ministre de l’Environnement) entend réviser les limites des Parcs Nationaux suite au lancement du projet de liaison entre Bonneval-sur-Arc et Val d’Isère. Les tentatives de remise en cause des zones centrales sont aussi anciennes : le projet de la construction de la station de Val Chavière en Vanoise (1969), la construction de la station de Vallon du Soussouéou dans les Pyrénées (1969 à 1974), la revendication de liaison Bonneval-sur-Arc à Val-d’Isère (de 1983 à 1986), ou les deux projets de station de ski dans la zone centrale du Mercantour (1987)... sont autant de menaces qui ont pesé sur les Parcs.

Le débat est relancé en juillet 2003, alors qu’un rapport parlementaire est remis au Gouvernement par Jean-Pierre Giran, député UMP du Var. Les associations écologistes s’inquiètent de l’avenir réservé aux parcs et à leur statut. En fait, ce n’est pas tant la réforme qui pose problème ; c’est plutôt le fait que l’on touche à un emblème, dont l’intangibilité spatiale s’accompagne dans bon nombre de représentations par son inviolabilité légale. Les conflits environnementaux récurrents et le retour du loup alimentent les débats et cristallisent les mécontentements des élus et des citoyens, si bien que le fonctionnement des Parcs est remis en cause par certaines populations locales.

Les sept Parcs existants

Pour comprendre les enjeux du débat actuel, il est nécessaire de revenir en arrière sur les circonstances de création des Parcs Nationaux, en application de la loi du 22 juillet 1960. A ce jour, 7 Parcs Nationaux existent ; ils représentent 3 700 km² de zone centrale (soit 0.7% de la superficie nationale) et 13 000 km² de zone périphérique :
-  Vanoise, crée en juillet 1963, 528 km².
-  Port-Cros, créé en décembre 1963, 19 km² terrestres et 18 km² maritimes.
-  Pyrénées Occidentales, créé en mars 1967, 457 km².
-  Cévennes, créé en septembre 1970, 912 km² (le seul habité dans la zone centrale).
-  Ecrins, créé en mars 1973, 918 km² (le plus vaste).
-  Mercantour, créé en août 1979, 685 km².
-  Guadeloupe, créé en février 1989, 173 km².

Toutes ces créations ont été conflictuelles et ont fait l’objet de très longs débats (19 ans pour le parc du Mercantour), dans lesquels les collectivités publiques n’ont pas été toujours associées : ainsi, des communes sont-elles intégrées contre leur volonté (comme Pralognan-la-Vanoise). Une fois créés, les élus sont minoritaires dans les conseils d’administration des Parcs et leurs revendications (comme la prise en compte des circulations ou des rénovations en zone centrale...) ne sont pas prises en compte. La limite de la zone centrale cristallise les revendications, comme le traduit la première phrase d’une pétition adressée le 31 décembre 1979 par les administrés de la commune de Saint-Christophe-en-Oisans (Isère) au Directeur du Parc National des Ecrins : « Monsieur le Directeur, la patience a des limites, tout comme le Parc National des Ecrins ». L’acceptation sociale reste largement insatisfaisante : des menaces physiques faites à l’encontre des gardes-moniteurs des Parcs ou des destructions de matériels (panneaux de signalisation...) enveniment les relations entre les administrés et les autorités. Des uns comme des autres, les Parcs ne reçoivent pas l’adhésion.

Un ancien label en débat

Le Parc National, avec les contraintes qu’il impose en zone centrale, effraie. C’est ce qui empêche l’aboutissement de nombreux projets, comme le Parc National de Mer d’Iroise, ou celui des Calanques ou de Guyane. Le texte législatif de 1960 est devenu largement inadapté aux réalités de notre société dans un contexte de décentralisation et de glissement des compétences de l’Etat vers les régions. Ainsi, le texte doit-il se plier aux « modes » actuelles, notamment celles de la « gouvernance » et du « développement durable ». La dichotomie entre la zone centrale (zone de protection stricte) et la zone périphérique (moins contraignante) est aussi en cause ; beaucoup contestent les limites de la zone centrale ou son statut de réserve dans laquelle les interdictions sont nombreuses. Aujourd’hui, les Parcs Nationaux sont entre le marteau de la pression locale et l’enclume des exigences européennes et des contingences internationales, ou des déclarations de principe comme la Stratégie Nationale sur la Biodiversité (février 2004) et la Charte de l’Environnement (mars 2005 dans la constitution). La loi doit permettre d’apporter des réponses aux défis d’aujourd’hui.

Le débat parlementaire actuel a entraîné une levée de boucliers des différents acteurs impliqués car la réforme peut changer les missions et la raison d’être de ces Etablissements Publics ; les militants écologistes craignent l’évolution des règles de fonctionnement des Parcs Nationaux. Le raisonnement doit être inversé ; s’il y a débat et s’il y a loi, c’est parce que le fonctionnement et les missions des Pars Nationaux se sont profondément modifiés en une quarantaine d’année ; le cadre juridique n’est plus adapté et il faut prendre en considération les évolutions sociales actuelles.

Des échecs et des promesses

Modifier la loi est nécessaire pour permettre l’aboutissement de nombreux projets qui n’ont pu voir le jour. L’histoire des Parcs Nationaux est davantage celle de ses échecs que des créations effectives. De nombreux projets n’ont jamais abouti :
-  le Projet du Parc International du Mont-Blanc bloqué par les réticences des élus haut-savoyards. L’inscription du Massif du Mont-Blanc à l’UNESCO en octobre 2002 a fourni un bon dérivatif avec des contraintes environnementales quasi-inexistantes en même temps qu’un prestigieux label international.
-  la Clarée, dans les Hautes-Alpes, entre la Savoie et l’Italie (1966 : J. FLORENT propose une annexe de 200 km² au Parc National des Ecrins, un « Parc de Nature »).
-  l’Ariège, proposé par le Conseil Général, mais les communes refusent majoritairement et le projet est finalement abandonné à la demande du même Conseil Général en 1980.
-  le Parc Marin de Corse, au Nord-Ouest de l’île entre Calvi et Piana qui lui aussi est désapprouvé par les communes concernées et abandonné par le Ministère le 17 avril 2002.

D’autres projets sont toujours en discussion et leur gestation s’éternise :
-  Parc National des Calanques de Marseille et de Cassis (depuis les années 1970). De nombreux désaccords bloquent l’avancée du projet, parmi lesquels l’empilement des zones de protection en tout genre qui affectent déjà le périmètre du projet (site inscrit, loi Littoral, Natura 2000, réserve naturelle...), la menace touristique qui pèse sur la zone centrale, le refus des élus de Marseille qui craignent les contraintes d’un tel label ainsi que l’émiettement de la propriété littorale (répartie entre les villes de Marseille et de Cassis, le Conservatoire du Littoral, l’Etat, le Ministère de la Défense, le Conseil Général des Bouches-du-Rhône et les propriétaires privés).
-  Parc naturel marin de Mer d’Iroise (Finistère) ; le projet démarre en 1991 et concerne 300 km de côtes. 34 communes et différentes collectivités territoriales ont été consultées, mais les contraintes de la loi de 1960 (notamment pour la zone centrale) vont à l’encontre des intérêts supposés des pêcheurs. La nouvelle loi crée un Parc naturel marin qui est un dispositif plus souple que le Parc National pour protéger un espace maritime.
-  les Hauts de la Réunion : le projet est amorcé en 1991 et concerne le tiers de l’île (1 000 km²). Dans ce projet, le cœur correspond aux Hauts, et la zone périphérique est constituée par le littoral qui connaît pourtant une forte urbanisation ainsi qu’une importante densité de population.
-  le Parc amazonien de la forêt guyanaise ; le projet est lancé en 1991 par François Mitterrand dans le contexte du Sommet de la Terre de Rio (1992) et de la médiatisation du recul de la forêt amazonienne. Il concerne trois millions d’hectares au Sud du département mais se heurte aux problèmes de l’orpaillage, activité (affichée traditionnelle !) largement clandestine et très polluante.

Une loi, pourquoi faire ?

Le projet de loi actuellement en discussion met en évidence des enjeux multiples :
-  spatiaux : la définition, la taille et les limites des zones centrales ; leur continuité est en débat, ce qui permettrait par exemple le passage d’une route ou la création d’une station de ski au beau milieu d’un Parc National.
-  fonctionnels : les modalités d’administration sont discutées. Le projet prévoit que le Directeur soit nommé par le Gouvernement sur une liste de trois noms proposés par le Conseil d’Administration, émanation des élus, ce qui traduit le pouvoir grandissant des élus dans les nouvelles instances de décision.
-  politiques, à travers la composition des différentes instances. La présence de droit des élus (députés, sénateurs, présidents de Conseils Généraux et Régionaux) dans le Conseil d’Administration est acquise, et très contestable quant à l’exercice réel de cette fonction dans un contexte de non cumul des mandats.
-  sociaux : favoriser l’acceptation sociale locale, en réduisant les contraintes imposées par les Parcs tout en conservant les missions de conservation des Parcs.
-  idéologiques : quelle sera l’efficacité d’une loi moins contraignante en matière de protection de l’environnement ?
-  financiers : l’Etat se désengage du financement de ces Parcs, ce qui bloque l’avancée de certains projets.

Le Rapport Giran a ainsi eu le mérite de soulever d’épineux problèmes, comme le changement d’appellation des Parcs Nationaux (dont l’intitulé actuel n’est pas très clair et qu’il faudrait expliciter), la question de l’indemnisation des propriétaires privés... Quelques points suscitent toutefois des interrogations :
-  le rapport fait la part belle au développement durable. La protection n’est donc plus le seul objectif des parcs.
-  la zone centrale est appelée « cœur » et la zone périphérique disparaît au profit d’une « zone d’adhésion ». Quel intérêt, si ce n’est un changement d’appellation ?
-  les indemnisations des propriétaires ou des communes seront plus généreuses, mais avec quel financement ?
-  le recrutement des garde-moniteurs du Parc National reste flou. Les locaux ont actuellement peu de chances d’en faire partie alors que les espaces protégés sont sensés s’intégrer à la vie locale.
-  la répartition des fonctions entre Président et Directeur n’est pas clarifiée.
-  l’incitation à la communication pose le problème de la mission des Parcs qui pourraient ainsi apparaître comme des sortes d’« offices de tourisme ».

D’autres points marquent de réelles avancées ainsi que la volonté de prendre à bras le corps la question des Parcs Nationaux. Le député Giran a effectué un travail sérieux et a rencontré de nombreux responsables (même si certains choix sont surprenants ; ainsi interroge-t-il seulement 11 acteurs du Parc National de la Vanoise (le plus ancien) contre 47 du futur Parc des Hauts de la Réunion ! Il ne remet pas en cause les principes fondateurs de la loi de 1960. En bon député, il se fait l’écho des élus ; cela apparaît dans de nombreuses propositions, comme la mise en place d’une indemnité pour le Président et les Vice-Présidents du Conseil d’Administration, ou la possibilité pour les membres du CA d’avoir un suppléant, parade habituelle des élus pour répondre aux accusations d’absentéisme. Il faut enfin noter que les Conseils Scientifiques seraient plus largement ouverts aux spécialistes issus des Sciences sociales, même si le rôle des Conseils Scientifiques est minimisé par la création de Comités de développement durable (ou Conseils économiques, sociaux et culturels) qui regroupent les habitants et les usagers du Parc. Le Conseil d’Administration demeure bel et bien la pierre d’achoppement : le rôle des élus est renforcé et le Président doit être un élu. La Commission Permanente est supprimée au profit d’un bureau. Enfin, les Parcs Nationaux doivent être placés dans un contexte interministériel, afin de résoudre le problème du financement. Ce qui était déjà le cas des zones périphériques, avec les errements et les échecs que l’on sait.

Quel avenir : spécificité ou dilution ?

Que peut-on espérer de la loi actuellement discutée en Commission Mixte Paritaire ?
-  La création d’un réseau de Parcs Nationaux, entre les Parcs, les Aires Marines Protégées. Le caractère transfrontalier des parcs est reconnu ; ainsi le Parc National du Mercantour pourrait fusionner avec le parc italien des Alpi Maritimi afin d’obtenir la reconnaissance de l’UNESCO.
-  L’outre mer, seul horizon des Parcs Nationaux ? En effet, les créations semblent difficiles en métropole et il est donc possible, en accordant quelques adaptations, d’élargir la législation aux Terres Australes et à Mayotte.
-  Un risque de confusion est possible entre les Parcs Nationaux et les Parcs Naturels Régionaux : le grand public confond ainsi le rôle des deux types de parcs. Le projet de loi prévoit que chaque Parc National (comme les Parcs Naturels Régionaux) soit régi par une charte.

Les différents statuts de parcs vont évoluer tout en se simplifiant, comme le suggère J.-P. Feuvrier (2005) : « Parcs nationaux et Parcs Naturels Régionaux sont appelés à se retrouver d’ici 2020, les deux modèles tendant à converger en mêlant protection et développement ». Peut-être au détriment de la protection de l’environnement ?

Débat

Quel est le panorama des limitations d’usages dans les Parcs Nationaux ?
La première mesure est l’interdiction de la chasse dans les zones centrales. Cette mesure aurait pu être difficile à accepter, notamment en Vanoise et dans le Mercantour, où la chasse était fortement pratiquée. En fait, le bouquetin était surchassé et donc en voie de disparition dans ces secteurs. L’interdiction de la chasse permettait donc une augmentation de la population des chamois et des bouquetins dans les zones centrales. Comme ces animaux n’ont pas la notion des limites des zones centrales des Parcs, ils sortent de ces zones pour arriver dans des espaces où la chasse est autorisée. Les chasseurs se sont finalement contentés de l’interdiction de la chasse dans les zones centrales des Parcs, car elle permettait la croissance du gibier.
Une autre contrainte concerne la rénovation des chalets, et de l’habitat en général. En effet, le bâti à l’intérieur des zones centrales ne doit pas être modifié, alors que les conditions de vie ont, elles, évolué. Les procédures pour entreprendre des travaux sont donc longues. Des aides financières, pour les toitures en lauzes en Vanoise, par exemple, sont proposées, à moitié par la commune et à moitié par le Parc National.
Au niveau des activités agricoles, les zones centrales sont là aussi assez restrictives. Par exemple, l’évolution technique dans le domaine de l’élevage rend nécessaire l’aménagement de pistes pastorales pour les troupeaux. Là encore, les procédures pour de tels travaux sont longues, car les normes à respecter sont nombreuses.
Par ailleurs, les prélèvements de la flore ou de minéraux, sont interdits dans les zones centrales. Cette mesure a des incidences sur les activités locales, et elle n’est pas toujours très bien vécue.

Qu’en est-il des Parcs Naturels Régionaux ?
Les Parcs Naturels Régionaux ne connaissent pas de restrictions de ce type. Les communes décident d’adhérer ou non à ces Parcs en fonction des contraintes, donc les problèmes ne se posent pas de cette manière.

Il faut nuancer l’impact de ces contraintes : le décret de création du Parc des Cévennes en 1970 a autorisé la chasse et la pêche dans la zone centrale. Quelle est en revanche la part de l’intercommunalité dans la gestion des Parcs ?
Oui, les Cévennes bénéficient de ce point de vue de mesures dérogatoires. Le rôle de l’intercommunalité reste faible : il y a relativement peu de coopération, et on assiste parfois à des tensions entre les différentes communes concernées par un Parc National.

L’exposé a mis en lumière les conflits entre les élus locaux et l’État. Quels sont les autres acteurs concernés et leur rôle ?
Il existe une certaine « solidarité de corps » entre les représentants de l’État, les élus locaux, etc. L’ONF apparaît comme un autre groupe influent. Initialement, les forestiers ont porté les Parcs Nationaux, mais ils supportent mal que le projet leur ait échappé ensuite. On peut citer par exemple un débat houleux en Haute-Maurienne entre un maire, ancien de l’ONF, et le Parc National. Le problème a été réglé par le préfet, qui forme une commission de consensus, et s’appuie sur des études scientifiques dans les différents domaines concernés. C’est la « scientisation de la politique », idée proposée par J. HABERMAS (1973) puis A. CADORET (dir., 1985), selon laquelle une décision politique ne peut être prise dans la société contemporaine qu’en s’appuyant sur un avis scientifique.

Dans le cas de la Réunion en particulier, le projet de protection de la biodiversité englobe pour une grande partie une « nature » importée. Comment gérer cette contradiction ?
La difficulté de l’exemple réunionnais vient de la forte pression urbaine face aux mesures de protection. Le Ministère emploie l’expression de « Parc National en centre-ville ». Dans cette situation particulière, la zone centrale sera peuplée (les îlets), afin d’éviter l’accentuation du fossé entre le « désert » montagneux central et le littoral surpeuplé.

Quelle est la pyramide des âges et, en cette journée de la femme, la proportion de femmes dans les conseils d’administration des Parcs Nationaux ?
Les conseils d’administration comptent généralement très peu de femmes. Notamment, les maires des communes représentées sont presque tous des hommes. En moyenne, sur 35 administrateurs, il faut compter trois ou quatre femmes. On note en revanche une féminisation des emplois de gardes-moniteurs, surtout à Port-Cros et à la Guadeloupe.
En ce qui concerne l’âge, les gardes-moniteurs sont jeunes, souvent moins de 30 ans. Il ne reste pas beaucoup de gardes-moniteurs de la « première génération ». Par contre, les conseils d’administrations ont une moyenne d’âge plus élevée, puisque les représentants sont fréquemment en fin de carrière.

Une certaine confusion est observable entre les différents statuts : Parc National, Parc Naturel Régional, Réserve Naturelle, sites classés ou inscrits, Conservatoire du Littoral, Natura 2000... Ces structures se recoupent d’ailleurs plus ou moins. N’y a-t-il pas des problèmes de perception de ces mesures pour les populations locales ?
En effet, ces mesures sont vues comme un empilement, mais ne sont pas vraiment comprises au niveau local. Dans les Alpes, le projet Natura 2000 a été un échec : les communes ont refusé d’installer une mesure supplémentaire. Ce programme était initialement vu comme un strict inventaire (mais pas compris comme tel), alors que l’objectif était bel et bien la protection. Il faut aussi citer le cas des réserves intégrales, prévues dans la loi de 1960, où la pénétration humaine était interdite, à l’exception des scientifiques. Une seule zone de ce type a été créée, dans les Écrins, le 9 mai 1995, mais la décision a été difficile à accepter. Ce problème de multiplication des mesures, et donc de confusion, vient aussi du fait qu’elles sont proposées sur plusieurs générations en fonction des nouveaux outils à finalité parfois différente : il y a donc une mauvaise lisibilité des mesures de protection environnementale.

Qu’est-ce qui a présidé à la loi de 1960 sur les Parcs Nationaux : la protection animale, le patrimoine d’« aspect »... ? Qui en est à l’origine ?
Au départ, l’objectif était la protection paysagère. Les origines peuvent, par exemple, remonter à un article datant de 1913 écrit par le spéléologue Martel, de retour des États-Unis. L’article en question évoquait ce qui méritait d’être protégé par le statut Parc National en France : il pouvait s’agir aussi bien d’éléments ponctuels que de massifs complets, et du patrimoine naturel et culturel, notamment le « vignoble de Saint-Emilion » ! Par la suite, d’autres éléments ont été pris en compte, comme le problème de la faune sauvage : en Vanoise, c’est la protection du bouquetin qui primait. A mon sens, en Vanoise, la protection s’est réalisée face à la pression des stations de sports d’hiver. Dans le cas des Écrins, le parc de La Bérarde avait été créé en 1913 par un forestier de Grenoble : le but était de limiter le surpâturage pour lutter contre les inondations. Dans les années 1960, un projet de Parc National a été porté par l’alpiniste L. DEVIES, pour préserver un site sans remontées mécaniques. Le rôle de l’alpinisme a globalement été important dans la mise en place de projets de Parcs Nationaux. Il faut aussi rappeler que les années 1960 voient la montée des sensibilités écologistes : la mise en place des Parcs Nationaux s’inscrit donc aussi dans cette perspective.

L’empilement des législations est peut-être aussi la seule arme des écologistes (le développement durable étant un concept relativement creux au départ). La loi de départ, en 1960, ne permettait rien dans les zones centrales, mais tout à côté. L’idée actuelle est donc d’aller de cette forme de protection forte à une protection plus faible, via des projets comme Natura 2000. Les réformes législatives actuelles se font dans l’indifférence médiatique totale, ce qui montre bien que « tout le monde s’en fout royalement » (Jacques Défossé, sic). Dans ce cadre, que deviennent les anciennes zones centrales ?
Avec la réforme de la loi de 1960, les futurs « cœurs » (nouvelle terminologie pour désigner les zones centrales) des Parcs Nationaux pourront être discontinus. En revanche, les anciennes zones centrales ne pourront pas être démantelées sans remise en cause complète de leur pourtour. Cela peut interpeller, par exemple en Vanoise, avec le passage en zone centrale de la route de l’Iseran. On n’a donc pas de remise en cause prévue pour les cœurs existants : les communes ne peuvent pas changer les limites. La géographie des anciens cœurs montre les difficultés de leur mise en place : les zones sont souvent contorsionnées pour pouvoir être continues, sans être traversées par des éléments extérieurs.

Quelle est la reconnaissance internationale des Parcs Nationaux français ?
Les Parcs français sont reconnus à l’échelle internationale selon le classement de l’UICN (Union Internationale de Conservation de la Nature). Parmi les six catégories retenues par l’UICN, seules les réserves intégrales sont au niveau 1 (protection la plus stricte) ; les zones centrales sont au niveau 2 ; les Parcs Naturels Régionaux sont au niveau 4 ou 5. L’échelle de l’UICN compte au total 6 niveaux.

La réglementation se heurte généralement aux moyens pour la mettre en place. Comment les Parcs Naturels Régionaux peuvent-ils gérer ces contraintes ?
Les Parcs Naturels Régionaux imposent quelques contraintes pour le bâti, mais leur rôle est consultatif uniquement. Ce sont des outils de développement touristique local principalement. La question ne se pose donc pas véritablement.
Par contre les Réserves Naturelles disposent d’une réglementation plus ou moins adaptée. Dans le cas de l’Iseran face à la station de Val d’Isère la réserve a été déclassée pour permettre la rénovation des remontées mécaniques, ce qui a constitué une première en France. Cela serait impossible dans le cadre de la protection imposée par la zone centrale.

Les Parcs Naturels Régionaux ne représentent pas grand-chose pour la protection mais bénéficient d’une bonne image pour le tourisme : il y a le prestige de l’appellation de « Parc » (notamment grâce aux confusions sur les statuts), mais sans les contraintes. Est-il possible de rappeler, à titre de comparaison, les budgets et les personnels des Parcs Nationaux et des Parcs Naturels Régionaux ?
Dans les Parcs Nationaux, on compte par exemple 34 gardes-moniteurs (et chefs de secteur) en Vanoise pour 32 personnels de bureau. Il faut compter en moyenne 60 à 80 employés permanents dans les Parcs Nationaux, ce chiffre pouvant atteindre 160 en été avec les saisonniers. Les budgets varient de 4 à 8 millions d’euros.
Dans les Parcs Naturels Régionaux, il n’y a pas de réglementation à faire respecter, donc pas de gardes-moniteurs. L’activité consiste en l’accueil de groupes scolaires. Il faut donc compter en moyenne 20 à 30 employés permanents. Les budgets s’échelonnent ici de 1 à 2 millions de francs.

Merci pour l’information sur la réforme de la loi de 1960, passée complètement à la trappe par les médias. Quel est le pouvoir effectif des administrateurs ?
Il ne faut pas croire que les élus locaux s’acharnent contre les mesures de protection imposées par les Parcs : il n’y a pas toujours d’opposition entre les deux groupes, donc pas de craintes à entretenir pour l’avenir des Parcs de ce point de vue. Bien souvent les mesures les plus coercitives sur la réglementation ont été prises massivement par les élus.
En revanche, la gestion de certains problèmes montre le pouvoir des différents acteurs. Par exemple, on assiste à une augmentation de la faune, comme les marmottes : la marmotte était traditionnellement chassée, mais avec les interdictions de chasse, on assiste à une prolifération des marmottes, ce qui pose des problèmes pour l’élevage. De même, des débats sont en cours pour autoriser à nouveau la chasse aux bouquetins. Dans ces cas-là, une certaine souplesse est possible, avec la mise en application de nouveaux amendements. Au final, le directeur du Parc applique ce que vote le conseil d’administration. Mais en fait, tout dépend des personnalités respectives du Directeur et du Président.

Si une station de sports d’hiver souhaite étendre son domaine skiable, que se passe-t-il ?
Si la nouvelle piste envisagée doit passer en zone centrale, la station minimise et met en avant les arguments « c’est la dernière » ou « ça n’aura aucun impact ». Le conseil d’administration formule alors une demande au conseil scientifique, simplement pour demander un avis. C’est ensuite au conseil d’administration de décider. Si le projet implique un déclassement de la zone centrale, c’est par un décret en Conseil d’État qu’est prise la décision.

Le projet de réforme de la loi rend envisageable le déclassement des zones centrales : n’est-ce pas une source d’inquiétude pour l’avenir des Parcs Nationaux ?
Le déclassement d’une zone centrale doit toujours passer par décret en conseil d’État. Il s’agit d’une procédure très lourde, donc il n’y a pas vraiment de risque de déclassement immédiat des zones centrales. Le Ministère de l’Environnement joue un rôle de garde-fous.

Compte rendu : Yann Calbérac et Cécile Michoudet (relu et amendé par Lionel Laslaz)
(d’après des notes aimablement fournies par Lionel Laslaz)

Post scriptum : L’Assemblée nationale vient d’adopter définitivement le 30 mars 2006, après le Sénat le 14 mars, la loi relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux. Le décret général d’application concernant les parcs nationaux sera publié au début du mois de juillet 2006, afin de permettre aux enquêtes publiques relatives à la création des deux nouveaux parcs nationaux d’être menées dans un cadre juridique rénové et stabilisé (Source : Ministère de l’Ecologie et du Développement durable).

La LOI n° 2006-436 du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux a été promulguée par le Président de la République le 14 avril 2006 et publiée dans le Journal Officiel de la République française le 15 avril 2006. Le texte de la loi est disponible en ligne.

Pistes de lectures :
-   BASSARGETTE D., 2003 : « Le futur Parc de la forêt tropicale guyanaise : une opportunité pour repenser la relation spatiale entre une organisation et son substrat », Annales de Géographie, n ° 630, p. 188-213
-   BERGOGNE L., 27 avril 1970 : Pour le Parc National du Mercantour, 46 pages
-   CHAMPOLLION A. et P., 1977 : L’écologie dénaturée : les Parcs Nationaux : le cas des Ecrins, La Pensée Sauvage, 103 pages
-   DEBARBIEUX B., 1990 : Chamonix : les coulisses de l’aménagement, Presses Universitaires de Grenoble, 174 pages
-   DEVIES L. octobre 1969 : « Pour le Parc National des Ecrins », La Montagne et alpinisme, p. 156 -158
-   DEVIES L., 1963 : « Pour un parc national en Haut-Dauphiné », La montagne et alpinisme, N°, pp 62-63
-   FINGER-STICH A.S. et GHIMIRE K.B., 1997 : Travail, culture et nature : le développement local dans le contexte des Parcs Nationaux et naturels régionaux de France, L’Harmattan, 234 pages
-   FLORENT J., juin 1969 : « Pour un parc de nature de la haute vallée de la Clarée », La Montagne et alpinisme, pp. 84 -89
-   FRAPNA Savoie, juillet 2004 : Contre le projet gouvernemental de réforme des Parcs Nationaux Français, non publié, 10 pages
-   GIRAN J.-P., juin 2003 : Les Parcs Nationaux : une référence pour la France, une chance pour ses territoires, Rapport parlementaire au Premier Ministre, 90 pages
-   LASLAZ L., PEYRONNARD C. et FLORET C., 2003 : « Paysage », in CLAEYSSEN B., coord., Le Guide du Parc National de la Vanoise, Glénat, 224 pages
-   LASLAZ L., 2004 : Vanoise : 40 ans de Parc National ; bilan et perspectives, L’Harmattan, coll. « Géographies en liberté », 434 pages
-   LASLAZ L., décembre 2005 : Les zones centrales des Parcs Nationaux alpins français (Vanoise, Ecrins, Mercantour) : des conflits au consensus social ? Contribution critique à l’analyse des processus territoriaux d’admission des espaces protégés et des rapports entre sociétés et politiques d’aménagement en milieux montagnards, Thèse de Doctorat en Géographie, CISM, Université de Savoie, sous la direction de X. BERNIER, 2 volumes, 644 pages
-   LAURENS L., dir., 1997 : « Les Parcs Naturels de France, un concept de développement territorialisé et environnementale à l’épreuve du temps », Bulletin de la Société Languedocienne de Géographie, n°3/4, 212 pages
-   LAURENT A., 5 janvier 1984 : Le Parc National du Mercantour sur les Alpes de Haute-Provence : revendications, controverses et oppositions, Université de droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, Institut d’Aménagement Régional, Thèse de Troisième Cycle en Urbanisme, sous la dir. de J.-P. ANGRAND, 715 pages
-   LEYNAUD E., 1985 : L’Etat et la Nature : l’exemple des Parcs Nationaux français : contribution à une histoire de la protection de la Nature, Parc National des Cévennes, 70 pages
-   MERVEILLEUX DU VIGNAUX P., 2003 : L’aventure des Parcs nationaux ; la création des Parcs nationaux français, fragments d’histoire, ATEN, 224 pages
-   Mountain Wilderness, 2003 : Parcs Nationaux : quel avenir ?, contribution au débat sur les Parcs Nationaux, 41 pages.
-   P.N.C., 1998 : « Quelle nouvelle politique pour les espaces protégés ? », Actes du Colloque de Florac, 1-3 mai 1997, 119 pages
-   Projet de loi relatif aux parcs nationaux et aux parcs naturels marins, Exposé des motifs, mai 2005, Ministère de l’Ecologie et du Développement durable, 15 pages
-   Projet de loi relatif aux parcs nationaux et aux parcs naturels marins, mai 2005, Ministère de l’Ecologie et du Développement durable, 15 pages
-   Rapport de la Commission Mixte Paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux parcs nationaux et aux parcs naturels marins, 1er mars 2006, Assemblée Nationale/Sénat, 73 pages
-   RICHEZ G., 1992 : Parcs Nationaux et tourisme en Europe, L’Harmattan, coll. « Tourismes et sociétés », 421 pages
-   ZUANON J.-P., GERBAUX F., TRON L., 1994 : 1913-1974 : du Parc National de la Bérarde, à celui du Pelvoux et enfin des Ecrins ; histoire du Premier Parc National français, P.N.E./O.N.F., 63 pages


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