Où sont passés les catholiques? - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Ouvrages Année : 2002

Où sont passés les catholiques?

Résumé

L'ouvrage tente de produire une nouvelle représentation géographique moins du catholicisme que des catholiques en France autour de l'entrée dans le nouveau siècle. Il s'agit en effet dans un contexte de lamentations autour de la déchristianisation, de la disparition des fidèles ou de l'extinction du corps des prêtres, de proposer un état des lieux des manifestations visibles des catholiques dans la société française. Cet état semble nécessaire dans la mesure où les sciences sociales ne peuvent plus véritablement prendre comme référence la mesure de la pratique religieuse dans les années 1950 pour éclairer les autres formes de la vie sociale.
La prise en compte d'un certain nombre de manifestations du fait religieux catholique repose sur une analyse des multiples formes possibles dans l'espace français. Une sélection permet de caractériser trois catégories principales, au regard de l'activité, des populations mobilisées et de la signification des engagements ou militances.

Des catholiques de l'expérience

Un premier ensemble de populations catholiques pourrait se définir par l'expérience, c'est à dire surtout une religiosité héritée, vécue, intégrée et qui, tous bénéfices assumés, mérite pour le moins d'être transmise aux générations suivantes (ce serait le champ de l'initiation catholique des enfants, de la catéchèse), d'être réalisable par le maintien de l'institution, de ses services et de son personnel (le champ du denier de l'Église par exemple), et d'être entretenue et vivifiée par des informations et leurs interprétations à la lumière du message de l'Église (le champ de la presse catholique peut être pertinent).

- la catéchèse constitue un indicateur objectif de la religiosité, puisqu'il s'agit d'offrir aux enfants une formation catholique, de transmettre le message et les valeurs de l'Église. Il est d'autant plus efficace qu'il ne mobilise pas seulement les enfants avant la première Eucharistie, mais surtout les parents et d'autres laïcs pour la mise en œuvre pratique. Sachant que l'engagement en catéchèse dure en moyenne trois années pour les formateurs, il est possible d'imaginer la foule des jeunes adultes qui a participé ou participe encore à cette transmission.
Globalement, en 1994 (date de la dernière évaluation systématique publiée ), environ 40% des enfants de CM1 et CM2 suivent une initiation catholique. Elle est dispensée dans les écoles publiques de l'Alsace-Moselle concordataire et dans les écoles privées ailleurs tout particulièrement dans l'Ouest (Vendée) ou le sud du Massif central (Cantal). Mais l'intensité de la diffusion de la catéchèse ne s'explique pas seulement par des effets de structures, de présence d'écoles libres catholiques. Dans nombre de diocèses, plus de la moitié des enfants sont catéchisés hors de l'école, dans le cadre de la catéchèse paroissiale réalisée par des laïcs : les exemples de l'Orne ou de la Manche sont probants en la matière. Les valeurs les plus faibles méritent attention dans la vallée du Rhône ou dans la première couronne parisienne, car entrent dans la population de référence des enfants scolarisés nombre de jeunes qui ont peu à voir avec le catholicisme et qui peuvent se référer à d'autres confessions (Islam par exemple pour la Seine-Saint Denis).

- Le denier de l'Église, c'est à dire la contribution volontaire des ménages permettant le paiement des salaires des prêtres, fournit un autre indicateur mesurant l'attachement à l'organisation de l'Eglise, au système de distribution des sacrements et autres services, à la pastorale diocésaine et paroissiale. Par sa nature c'est la traduction d'une des dimensions conséquentes de la foi et de l'appartenance à l'Église.
Les données de la Conférences des évêques de France en 2000 montrent que, au delà de quelques fluctuations inter annuelles, les masses d'argent collectées sont en progression sur l'ensemble des diocèses métropolitains. La moyenne des dons par ménage apparaît très faible avec 10 Euros. Mais quelques enquêtes, particulièrement lourdes et difficiles à mener, montrent qu'environ dix pour cent des ménages contribuent et que ces ménages ne sont pas nécessairement ceux des messalisants. La répartition obtenue montre l'importance des dons dans les diocèses de forte pratique historique : Pays Basque, Sud du massif Central, mais aussi de fortes contributions en Franche Comté et Bourgogne et dans la région parisienne, au moins sa partie occidentale (Paris et Versailles). Les faibles valeurs comme en Provence-Côte d'Azur ne témoignent pas seulement de la présence de populations étrangères au catholicisme, de populations détachées depuis deux siècles de l'Église, elles révèlent aussi une certaine distance vis à vis de l'institution.

- la lecture de la presse catholique fournit un troisième test de l'attachement et de l'entretien des valeurs catholiques. L'achat et la lecture des titres catholiques nous semble une forme régulière de rapport au message de l'Église, une forme particulièrement significative puisque la presse catholique est distribuée essentiellement par le canal des abonnements. Ce qui traduit nécessairement une grande fidélité, au delà de la confiance accordée à la poste. De plus dans un environnement éditorial généralement fragile, les titres catholiques font preuve d'une belle résistance à l'érosion des lectorats.
L'importance de ce critère tient à la diffusion : 100 000 exemplaires pour La Croix, 200 000 pour La Vie, 400 000 pour le Pèlerin ... mais plus encore à l'immense palette de titres, de revues, d'hebdomadaires d'envergure nationale ou d'implantation locale. Tous les registres sont utilisés : les Groupes La Vie et Bayard-Presse rivalisent d'ingéniosité pour toucher tous les segments de la population des plus jeunes enfants aux troupes nombreuses de retraités. Si nous combinons les distributions géographiques des trois titres évoqués, nous retrouvons avec une diffusion notable les régions réputées fidèles, mais aussi les grandes agglomérations et la Franche-Comté. L'ouest paraît en retrait relatif, mais il dispose d'hebdomadaires catholiques et d'un titre quotidien d'origine catholique.

Ces trois dimensions visent à ce que rien ne se perde ou ne s'efface ou ne s'édulcore. Mais ce ne sont pas nécessairement des manifestations de conservatisme. La combinaison de valeurs supérieures à la moyenne pour au moins deux des critères atteste d'une présence importante des catholiques de l'expérience recouvrant en grande partie les régions de pratique majoritaire des années 1950. Mais elles s'étendent aussi aux Savoie et à la Franche Comté. Et surtout, elles caractérisent les catholiques urbains des régions parisienne et lyonnaise, témoignant d'un passage réussi à la ville...


Des catholiques de l'action

Un second ensemble de populations catholiques, se retrouvant pour partie dans le premier, se distingue par un certain nombre de comportements démontrant leur militance, la mise en œuvre des dimensions conséquentes de leur foi, aussi bien dans le cadre de l'évangélisation que dans celui de l'intervention sociale. Ce groupe se définit donc par des actions, des actes posés au nom de la foi catholique, que la référence religieuse soit explicite ou non, mais suffisante pour permettre une lisibilité et une visibilité.
L'intervention en direction des populations défavorisées ou en difficulté constitue un champ d'action fort vaste. Toutes les associations et mouvements d'Église affichent cette priorité. Mais, l'action la plus efficace, certainement la plus visible grâce aux multiples modes de solidarité, est menée par le Secours catholique, association loi de 1901, reconnue d'utilité publique, qui constitue un véritable mouvement de masse avec la mobilisation de plus d'un million de personnes. Par ses aides directes, ses activités en liaison avec d'autres associations, des institutions sociales publiques ou les municipalités, le Secours catholique est présent partout et plus de 4 200 équipes locales peuvent être jointes et activées. Les 70 000 militants recensés se caractérisent par une forte présence dans les villes et grandes agglomérations, ce qui correspond aux localisations des populations bénéficiaires.
La trame constituée par les équipes ne fait que traduire le réseau urbain. Mais la distribution géographique n'est pas homogène dans les grandes unités urbaines : dense à Nice, plus rare à Toulon, les implantations suggèrent des complémentarités avec d'autres mouvements catholiques ou des associations laïques comme le Secours populaire. Enfin, la relative rareté des équipes en Alsace Moselle indique que les solidarités et générosités connaissent d'autres canaux, le plus souvent municipaux.

Dans un autre registre, plus centré sur la spiritualité personnelle, mais soucieux d'évangélisation et d'action sociale, les mouvements, associations, communautés, fraternités et groupes de prière, qui se rangent dans une mouvance de Renouveau charismatique, constituent un autre ensemble fort actif dans la société et l'Église depuis une trentaine d'années. Si l'approfondissement de la foi, par les enseignements, la formation et la prière, est au cœur de la démarche, les militants du Renouveau charismatique se signalent aussi par les initiatives d'évangélisation, de rue comme pour l'Emmanuel, d'accueil des autres, de solidarité et plus généralement d'attention portée aux défavorisés et aux blessés de la vie, aux handicapés comme pour l'Arche ou Foi et Lumière. Il est difficile de rendre compte d'un ensemble de mouvements fort complexe, oscillant entre règles de type monastique et groupes de prière occasionnels. Mais la multiplicité des formes, le foisonnement des initiatives, la prolifération des communautés retiennent l'attention pour les nouvelles formes d'action à l'intérieur de l'Église. Par simplification, nous n'avons retenu que les communautés reconnues par l'institution et de quelque poids démographique .
Si l'on recense plus de 200 000 membres engagés dans des communautés en 2000, leurs implantations font apparaître trois foyers principaux. D'abord la région lyonnaise où sont nées des communautés comme celle du Chemin neuf (1 200 personnes engagées, 5000 membres) et où la présence de communautés d'inspiration ignatienne ou dominicaine est importante. Ensuite l'Ouest de la France émerge, avec les communautés endogènes du Pain de Vie (une centaine de personnes) et Réjouis-toi (230 personnes) et les implantations d'autres communautés nationales. Enfin, le Nord de la région parisienne avec l'Arche, puis l'implantation du siège de l'Emmanuel (6 000 membres) à Neuilly, fournit le troisième pôle de bourgeonnement des communautés charismatiques. Au total, et pour les seules communautés d'importance et reconnues, la distribution géographique est issue de la floraison initiale, puis de la diffusion pour certaines comme l'Emmanuel et le Chemin neuf dans les grandes villes, pour d'autres, l'Arche et Béatitudes, plutôt dans les solitudes rurales, les bourgs ou les petites villes.

Les catholiques de l'action qui travaillent en réseaux à différentes échelles, locale, diocésaine, nationale et aussi internationale, ont une répartition complexe : à la fois dispersion dans les diocèses avec le réseau des bourgs et petites villes et importance des concentrations urbaines, reflétant ainsi le peuplement général de la France.

Des catholiques du mouvement

Depuis quelques décennies, on se plait à souligner la vogue des rassemblements et les vagues renouvelées des pèlerinages. Les catholiques se mettent volontiers en marche, se réunissent parfois plus volontiers dans des sanctuaires ou basiliques que dans les églises paroissiales. Pour cette catégorie de catholiques mobiles, qui recouvre pour partie encore les deux premières, nous proposons la dénomination de catholiques du mouvement.

Toutes les observations concordent : jamais au XXe siècle, les pèlerinages n'ont mobilisé autant de foules, et surtout depuis une quarantaine d'années, les enregistrements des pèlerins dans les basiliques sont en croissance générale. Le renouveau des pèlerinages touche les grandes destinations nationales ou internationales. Mais il concerne aussi les sites locaux ou diocésains (pas moins d'une dizaine par diocèse) et même fait renaître d'anciens chemins comme le Tro Breizh en Bretagne. Il est délicat de mesurer l'importance statistique des catholiques pèlerins : on ne dispose que des vues des services diocésains qui comptabilisent environ 150 000 personnes inscrites par an, pour au moins un des programmes. Par ailleurs, on sait que la principale destination française, Lourdes, accueille environ cinq millions de personnes par an dont la moitié venue de France. Ce qui veut dire que nombre de personnes venues touristes sont reparties pèlerines...La difficulté méthodologique est insurmontable car ne sont connus et comptabilisés que les groupes demandant office ou hébergement, et on ne peut mesurer l'importance de la noria des personnes défilant du matin au soir devant la médaille de la rue du Bac à Paris. Nous n'avons donc retenu que les principaux sites des grands pèlerinages français, comme l'entend la Conférence des évêques de France, ce qui induit une sous estimation du phénomène.

En dehors des pèlerinages, le goût des rassemblements, des réunions, récollections, séminaires etc. touche de plus en plus les catholiques, membres ou non de mouvements ou d'associations et trouvant d'excellentes raisons pour se réunir. La tradition des rassemblements de Taizé ou le succès inattendu des Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris sont révélateurs de ces besoins de faire épisodiquement ou exceptionnellement communauté. Les occasions ne manquent pas et les bâtiments disponibles non plus. Sont recensés environ 500 lieux d'accueil pour des groupes de toute taille à travers la France. Il s'agit des monastères et abbayes ouverts au public , de prieurés et de couvents pratiquant l'hébergement, des maisons diocésaines, d'anciens séminaires ... Le recensement exhaustif paraît impossible.
La distribution privilégie ainsi les lieux d'accueil et de rassemblement de la moitié méridionale de la France, plus les secteurs montagneux ensoleillés que les plaines brumeuses du Nord.

Le peuplement

Les divers inventaires de formes de catholicisme font apparaître de multiples implantations, des localisations qui peuvent être majoritairement urbaines dans une région, plus rurales ailleurs. Des mouvements peuvent privilégier des cadres de vie spécifiques pour leurs actions : communautés de vie quasi monastiques dans les solitudes rurales ou confréries de Saint-Vincent-de-Paul implantées dans les grandes villes ... D'autres sont présents selon les régions dans presque toutes les formes de peuplement : les équipes du Secours catholique sont dans les petites villes et bourgs des Pyrénées, mais aussi dans les banlieues de la région lyonnaise. Il faut donc rendre compte des types d'agglomération des populations.
La France est devenue depuis longtemps (1936) majoritairement urbaine et au recensement de 1999, on peut estimer que les trois quarts des français vivent dans des unités urbaines. Les différentes catégories de catholiques ne peuvent que se référer par leur champ d'activité ou leur comportement au cadre de vie prédominant. Nous avons retenu comme population urbaine, celle des communes de plus de 5 000 habitants. Il s'agit bien de populations agglomérées, sauf en Morbihan avec les communes fusionnées des années 1970 et pour Chamonix où le petit noyau urbain est représenté sur la vaste étendue de la commune.
À l'opposé, dans les espaces dépeuplés ou faiblement peuplés, la présence des groupes de catholiques ne peut être importante. D'ailleurs dans le Sud du diocèse de Mende, une dizaine de paroisses ont été supprimées dans les années 1960. Il faut donc souligner les faibles densités propices à quelques rassemblements, à l'érection éventuelle d'une communauté de type monastique, mais peu favorables à l'implantation de toutes les formes de catholiques de l'action.

Ainsi, la carte des catholiques en France montre utilement leur répartition sur l'ensemble du territoire peuplé et surtout leur très forte représentation dans les agglomérations. Groupe religieux encore prétendu majoritaire, il est logique que sa distribution spatiale rejoigne celle de l'ensemble de la population nationale, mais les nuances sont riches d'enseignements. De plus, la carte montre des assemblages régionaux de formes dominantes de catholicisme : expérience dans le Nord-Est et l'Est, ou en Bretagne, action en Rhône-Alpes, et combinaisons dans les marges armoricaines ou les Alpes.

Domaines

Géographie
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-00009830 , version 1 (31-03-2006)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00009830 , version 1

Citer

Jean René Bertrand, Colette Muller. Où sont passés les catholiques?. Desclée de Brouwer, 2002. ⟨halshs-00009830⟩
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