Se reconnaître victime : un processus collectif de sémantisation d'une expérience singulière
Résumé
Une valorisation de l'individualité a pris un essor considérable dans nos sociétés occidentales depuis déjà plusieurs siècles. Une telle prise en compte toujours plus affirmée de l'individualité, dans ce qu'elle a d'unique et d'autonome, est un facteur d'une importance majeure pour comprendre notre société contemporaine, l'être social d'aujourd'hui, l'évolution du secteur juridique et le développement d'un courant de victimisation sans précédent. En effet, cette promotion de la personne participe aussi bien au processus d'élaboration des droits de la personne qu'au développement parallèle et exponentiel des chefs de préjudices aujourd'hui reconnus comme réparables en droit commun. Ainsi la chancellerie les dénombrerait approximativement au nombre de 100 000, mais sans certitude aucune, tant la fragmentation des préjudices en de nouveaux chefs à réparation ne cesse de s'opérer. Afin de mettre en exergue les nombreux liens existants entre la construction du droit et les compréhensions de la personne humaine élaborées successivement dans notre société, nous prendrons le temps de faire un rapide détour par les développements sémantiques autour de la notion de personne, pour mieux en montrer l'influence sur l'évolution juridique en faveur d'une plus grande protection des victimes. Ensuite nous montrerons comment cette prise en considération des victimes a révolutionné les principes mêmes fondant la notion de préjudice réparable en droit et questionne aujourd'hui la conception juridique de la personne. Enfin, l'émergence des dommages corporels sera analysée en lien avec l'individualisme montant dans nos sociétés.