index - Revue de linguistique latine du Centre Ernout n°10, février 2015 Accéder directement au contenu

LE DISCOURS RAPPORTE EN LATIN 1/1


Actes du Colloque Alfred Ernout (Juin 2014)
(Fr. Fleck - L. Sznajder eds)


Table des matières

FLECK Frédérique - SZNAJDER Lyliane : présentation
ROSEN, Hannah : « Le continuum des discours rapportés en latin du discours indirect vers le discours direct : schémas grammaticaux, critères lexicaux, et stratégies rhétoriques »

I Discours rapporté et genres discursifs


THOMAS Jean-François : « De la narration au discours rapporté dans l’épopée : le cas de l’Énéide »
KIRCHER Chantal : « Emploi des temps et des modes dans les discours rapportés du genre historique illustré par le livre I de la Guerre civile de César »
BALANDRAUD Charlotte : « Claudien et la parole politique : de la délégation de parole dans l’invective à la parrhêsia »
DUARTE Pedro : « La construction du propos plinien dans les derniers livres de l’Histoire naturelle : la place du discours rapporté dans l’encyclopédie romaine »
GRECO Paolo : « Le discours rapporté dans les actes notariés de la Langobardia minor (IXe siècle) »

II Le discours indirect dans ses marques modales et pronominales


PANCHON CABAÑEROS Federico : « El modo verbal de la correlativa qui… is en discurso indirecto »
JOFFRE Marie-Dominique : « Présence du narrateur dans le discours indirect : l’anaphore et la deixis à partir d’exemples empruntés aux livres XXI, XXIII et XXX de Tite-Live »
FRUYT Michèle : « Le discours indirect en diachronie : l’évolution du réfléchi indirect en latin »

 

INTRODUCTION


Frédérique Fleck et Lyliane Sznajder
frederique.fleck@ens.fr
sznajder@worldonline.fr


La revue De Lingua Latina publie dans ses numéros 10 et 11 les Actes du Colloque biennal du Centre Alfred Ernout « Le discours rapporté en latin » organisé avec le soutien de Paris IV et de l’ENS Paris et tenu à l’Université de Paris-Sorbonne les 2, 3 et 4 Juin 2014.
Dans le vaste champ de recherche du discours rapporté, champ de recherche constamment actualisé et étendu, les études latines ont joué un rôle historiquement prépondérant. Il était donc légitime, opportun, nécessaire même, d’offrir aux latinistes, sur ce thème, un cadre de rencontre conforme à la tradition des colloques du centre Ernout, ouvert sur la multiplicité des approches et des problématiques.
Cette première livraison s’ouvre sur un article de Hannah Rosén qui dresse un vaste panorama des différentes formes de représentation des propos. Le discours rapporté y apparaît dans toute sa richesse et dans toute sa complexité à travers un continuum du discours indirect au discours direct établi grâce à de multiples critères. C’est en portant plus particulièrement attention aux formes « non pures » des discours rapportés, celles dans lesquelles les divers marqueurs syntaxiques, déictiques, lexicaux semblent ne pas concorder, que H. Rosén éclaire les mécanismes linguistiques en jeu dans les discours représentés.
Ce premier volume s’articule ensuite autour des deux premiers thèmes du colloque, « Discours rapporté et genres discursifs » et « Le discours indirect dans ses marques modales et pronominales ». La première partie brosse, à travers cinq articles, une première ébauche des liens qui existent entre genre discursif et discours rapporté. L’abondance des passages de discours rapporté, leur ampleur, le choix du discours direct ou du discours indirect, les moyens syntaxiques mis en oeuvre, le rôle que jouent les propos rapportés dans l’économie générale de l’ouvrage varient d’un genre à l’autre.
Jean-François Thomas livre une étude exhaustive des occurrences de discours direct et de discours indirect dans l’Énéide de Virgile. Son travail permet notamment de montrer que le discours des personnages, dans l’épopée, est essentiellement présenté au discours direct. Le discours indirect y sert seulement à résumer très brièvement des propos ; c’est aussi le mode de représentation qui est systématiquement choisi pour rapporter des rumeurs. La répartition du discours direct et du discours indirect dans l’épopée diffère en cela de celle que l’on trouve dans le genre voisin de l’historia. Celui-ci fait l’objet d’une enquête minutieuse de Chantal Kircher qui détaille les différents types de discours rapporté présents dans le premier livre de la Guerre civile de César avant de se concentrer sur les nuances complexes de l’emploi des temps et des modes dans les discours indirects qu’il contient. L’étude de Chantal Kircher confirme la place très marginale du discours direct dans ce type de texte.
À travers l’exemple du Contre Rufin et du Contre Eutrope de Claudien, Charlotte Balandraud étudie l’emploi des propos rapportés au discours direct dans l’éloquence épidictique. Elle montre comment les discours attribués aux personnages relaient la voix du locuteur principal, prenant en charge à sa place tantôt une prise à partie virulente ou un portrait à charge qu’il serait trop dangereux d’assumer ouvertement, tantôt des recommandations qui, émanant d’instances supra-humaines comme Rome ou la Justice, prennent davantage de poids qu’elles n’en auraient dans la bouche d’un simple mortel.
Pedro Duarte s’intéresse, quant à lui, à un corpus technique, celui des écrits encyclopédiques de Pline l’Ancien. La question de la présentation des sources y est cruciale. Il s’agit en effet d’intégrer de nombreuses citations sans perdre ni lasser le lecteur et d’indiquer la manière dont le locuteur principal se positionne par rapport aux diverses opinions qu’il rapporte. C’est de ce point de vue que sont étudiées les différentes façons d’introduire le discours rapporté dans l’Histoire naturelle.
L’article de Paolo Greco porte également sur un corpus technique, constitué cette fois de textes juridiques du Moyen Âge rédigés par des notaires. Les discours rapportés qu’ils contiennent, et dont la place est assez restreinte, sont essentiellement des discours indirects. Le degré de prise en charge de ces discours rapportés par le locuteur principal semble y être reflété d’une part par le choix du complémenteur qui les introduit (ut presque exclusivement en cas de non-prise en charge, quia ou quod principalement en cas de prise en charge) et par celui du verbe introducteur (dico, declaro ou manifesto).
La seconde partie, « Le discours indirect dans ses marques modales et pronominales », propose de nouveaux éclairages sur le choix des modes et des pronoms dans le discours indirect.
Federico Panchón Cabañeros nous livre une étude sur la répartition indicatif/subjonctif dans les structures corrélatives qui… is, is… qui, et is qui soudé en discours indirect et sur les enseignements que l’on peut en tirer dans la perspective globale de la stratégie communicative. Reprenant, pour les réévaluer dans ce cadre précis, certaines affirmations fréquentes, sur le subjonctif d’« attraction modale » comme marque quasi mécanique de dépendance syntaxique notamment, il analyse a contrario le contenu discursif des relatives à l’indicatif, et propose entre autres une opposition subjonctif/indicatif sur la base de l’apport informatif (nouveau/connu, saillant/non saillant).
Marie-Dominique Joffre étudie les conséquences de la transposition du discours direct en discours indirect sur l’emploi des déictiques et des anaphoriques, à partir d’exemples principalement empruntés à Tite-Live. Observant la prépondérance de is, l’absence de iste, la faible fréquence des déictiques, elle évalue la présence du narrateur dans le propos rapporté à travers les choix de transposition des personnes 2 et 3.
La visée de Michèle Fruyt est diachronique : elle étudie l’évolution du réfléchi indirect à travers ses transformations à un moment-charnière de l’histoire du latin, la fin du IIe siècle, en partant plus particulièrement de l’oeuvre de Cyprien. Tandis que le réfléchi direct se maintient, ne subsiste dans les emplois du réfléchi indirect que l’accusatif en fonction syntaxique de sujet d’un A.c.I. et à proximité immédiate du verbe principal. Ces transformations sont à mettre en parallèle avec la diminution de l’autonomie de l’infinitive (de prédicat, l’infinitif tend à devenir complément) et de façon plus générale avec une déperdition des valeurs modales en discours indirect.