Les frontières du savoir. D'Alembert et la spécialisation des discours au XIXe siècle - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2011

Les frontières du savoir. D'Alembert et la spécialisation des discours au XIXe siècle

Résumé

Au premier regard, la postérité de d'Alembert au XIXe siècle n'offre rien de véritablement spectaculaire. Elle ne présente pas le caractère foisonnant et quasiment inépuisable qui distingue, à la même époque, celle de Voltaire. Contrairement à l'auteur du Dictionnaire philosophique, dont la mémoire délimite presque par définition un lieu conflictuel, l'héritage de d'Alembert ne soulève pas les passions - en tout cas pas des passions telles que chacun se sente tenu de prendre position à son sujet. Entre autres indices, l'absence de tournures lexicalisées (comparables, par exemple, au rousseauisme ou au qualificatif voltairien) conduit à ne pas surestimer la faculté d'aimantation de ses œuvres, une fois refroidies (sinon oubliées) les passions propres à leur contexte d'apparition. S'il ne représente donc pas, il s'en faut, la figure du XVIIIe siècle la plus commentée, ni la plus tiraillée entre des interprétations concurrentes, d'Alembert ne saurait pourtant être compté au nombre des oubliés et autres dédaignés que Charles Monselet s'efforcera d'exhumer au milieu du Second Empire. Pour être relativement apaisée, sa destinée posthume n'en soulève pas moins un faisceau de questions très vives au XIXe siècle. Son intérêt tient aux problèmes respectivement patrimonial et disciplinaire qu'elle met en jeu et dont elle aide à apprécier le degré d'intrication. Le contexte dans lequel doit être resituée la réception de d'Alembert est en effet celui d'une compartimentation croissante des discours de savoir, processus de long terme qui ne prendra le sens d'une véritable disciplinarisation que dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Au moment où le partage des savoirs acquiert une dimension institutionnelle, comment aborder un mathématicien et géomètre dont la production inclut, outre le " Discours préliminaire " et le célèbre " Essai sur la société des gens de lettres et des grands ", des " Réflexions sur la poésie ", un " Dialogue entre la Poésie et la Philosophie ", des " Réflexions sur l'élocution oratoire ", etc. ? Dispose-t-on encore d'un cadre de pensée suffisamment souple pour conserver son legs sans l'amputer des parties résistant aux nouveaux découpages institutionnels ? Le fait est que la fortune de d'Alembert décrit une trajectoire qui, par les tournants qu'elle emprunte et l'horizon qu'on lui assigne, permet d'observer, en même temps que la dissociation croissante des sciences et des lettres dans l'espace intellectuel, les modes de sélection et de catégorisation des grands hommes mis en œuvre par la " Nation littéraire ". En raison de ses dimensions contraintes, cette contribution ne posera que les premiers jalons d'une étude de plus grande échelle qui inscrira la fabrique des grands hommes dans une histoire des discours de savoir et, au-delà, des constitutions disciplinaires. Dans le cas de d'Alembert, comme dans bien d'autres, la question reste de savoir comment le XIXe siècle s'accommode d'une œuvre qui, par sa diversité, occupe des territoires entretemps autonomisés (à tout le moins entrés dans un processus d'autonomisation). Deux hypothèses seront ici éprouvées. La première suppose, tout au long du siècle, une tentation de ne voir en d'Alembert qu'un mathématicien. À première vue cohérente et même normale, cette catégorisation revêt cependant un caractère restrictif qui mérite réflexion : pourquoi la spécialisation scientifique s'accompagne-t-elle d'un dénigrement des essais littéraires ? En vertu de quelle logique a-t-on cru devoir choisir entre les pans littéraires et scientifiques de cette œuvre ? Car tout indique que le XIXe siècle a bel et bien réalisé la prophétie du neveu de Rameau : " Nous reléguerons d'Alembert dans ses mathématiques ". Résultat prévisible du nouveau tracé des frontières discursives, la spécialisation du géomètre n'obéit pas moins à des ressorts doctrinaux. À ce titre, elle peut effectivement se décrire comme une " relégation ". Or celle-ci éclaire par bien des aspects, et telle serait la seconde hypothèse, la domestication historiographique des Lumières dans la France révolutionnée.

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Citer

Stéphane Zékian. Les frontières du savoir. D'Alembert et la spécialisation des discours au XIXe siècle. Parcours dissidents au XVIIIe siècle. La marge et l'écart, Desjonquères, pp.121-135, 2011, L'esprit des Lettres. ⟨halshs-00961587⟩
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