La culture politique et la diversité des systèmes de protection sociale - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Pré-Publication, Document De Travail Année : 2012

La culture politique et la diversité des systèmes de protection sociale

Jean-Claude Barbier

Résumé

Le chercheur conduisant des enquêtes de terrain dans plusieurs pays européens pour comprendre les réformes de la protection sociale se trouve confronté à deux observations, à première vue contradictoires : il rencontre du singulier, d'une part, et, de l'autre du commun (du semblable). S'il est parfois tenté par l'explication universelle et les grandes synthèses from a bird's eye view, des faits têtus, petits ou grands, désagréables ou pas, ceux dont Max Weber enseigne qu'il convient de les respecter, ne cessent de se présenter à ses yeux. C'est tout particulièrement le cas pour le chercheur qui travaille sur ces réformes en se posant le problème de leur convergence et de leur " européanisation ", et, avec eux, le problème de l'identification de mécanismes et de variables qui en permettent une meilleure compréhension. Le chercheur comparatiste peut se référer à la leçon enseignée par G. Sartori (1991), à savoir qu'il faut, quand on compare, distinguer selon des niveaux d'abstraction (scale di astrazione). Ainsi, il peut conclure à la convergence ou à l'européanisation, à condition de définir ce terme précisément (Radaelli, 2003) à un certain niveau, pour certains phénomènes (par exemple les idéologies, les programmes, les instruments, les résultats, etc...), sans pour autant négliger l'observation d'une absence de convergence ou d'européanisation à d'autres niveaux (par exemple le " contenu " des politiques publiques). Le chercheur comparatiste connaît aussi les typologies nombreuses qui ont été produites au cours de la dernière décennie, qu'il s'agisse de " words of welfare capitalism " (les travaux que G. Esping-Andersen (1990) a inaugurés) ou dans le domaine des différentes typologies de capitalismes (Schmidt, 2002 ; Amable, 2003 ; Boyer, 1986 ; Hall and Soskice, 2001). Le sociologue sait aussi combien la question de l'établissement des causalités est complexe, car il y a de nombreux candidats pour les influences (Weber, 1964). En sociologie, la question de la causalité n'est pas si évidente que cela, et la querelle reste bien difficile à trancher entre affinités et causalité (Aron, 1967, p. 537-542 ; Boudon, 1969, p. 96-116). En outre, le sociologue a toute liberté de faire sienne la distinction de J.-C. Passeron (1991) parmi les sciences sociales, et de se rattacher aux disciplines des sciences sociales historiques, par opposition aux autres, comme l'économie ou la démographie. Avec cette affiliation, il pratique une sociologie " non poppérienne ". Ce qui ne l'empêche pas de rechercher causalités et régularités avec des méthodes rigoureuses, mais sans fascination pour le modèle expérimental, les situations contrefactuelles, la reproductibilité et la validité externe, ainsi que pour la falsifiabilité. On appliquera ici les principes rapidement esquissés ci-dessus à un objet de recherche, la protection sociale. Nous en considérons les systèmes comme des ensembles de relations sociales (Barbier et Théret, 2009). L'enquête de terrain à leur propos confronte à des questions comme les suivantes : pourquoi n'y a-t-il pas de fonds de pension à proprement parler en France en 2009 (et pourquoi, similairement, leur place est-elle restée marginale en Allemagne) ? Pourquoi, malgré près de 20 ans de réformes en Europe et aux États-Unis, il n'y a jamais eu de convergence dans les changements des systèmes d'aide sociale (assistance) ? Pourquoi les Allemands sont-ils revenus sur la réforme Hartz, de même que les Français, sur diverses réformes des minima sociaux ? Pourquoi n'y a -t-il toujours pas en 2009, de système d'assistance en Italie, autre que la charité de l'Église et les diverses formes d'action communautaire, collective, et coopérative ? Pourquoi les prestations sociales sont-elles restées si généreuses dans les pays scandinaves ? Pourquoi, malgré tout ce qui a été écrit à propos de l'effondrement du " modèle suédois " par tant de gens de toutes disciplines, ce " modèle " s'oppose toujours, après 30 ans de prétendue " crise de l'État-providence ", au Royaume-Uni, sur tous les critères essentiels de la mesure comparative : inégalités hommes-femmes, degré général d'inégalité, générosité des prestations, rôle des partenaires sociaux et de la société civile, etc.. (Barbier, 2008, p. 95-96) ? À toutes ces questions, selon les niveaux d'abstraction, et compte tenu du faisceau des explications possibles, on peut apporter bien des réponses. L'une d'entre elles est rarement faite explicitement dans les recherches comparatives, notamment dans le courant communément désigné comme " néo-institutionnalismes ", en particulier celui d'entre eux qui met l'accent sur les valeurs, à partir des discours (Schmidt, 2002) : il s'agit du rôle des cultures politiques. Celles-ci sont cependant souvent citées, mais plutôt en passant qu'en temps que facteurs formellement reconnus (Hall et Soskice, 2001, p. 12-14). De la même manière, la dimension culturelle n'est pas retenue par les tenants des explications par les cadres cognitifs des politiques publiques, je pense ici aux travaux qui prennent comme centre l'étude des référentiels (Jobert et Muller, 1987). On ajoutera aussi, en passant, que la dimension culturelle n'est pas non plus explicite dans le concept proposé par Jane Jenson, de " régimes de citoyenneté4 ", censés regrouper des droits, des règles du jeu démocratique, un territoire de la citoyenneté et " l'expression de valeurs fondamentales touchant au partage des responsabilités " (2007, p. 28). Notre approche, contradictoire avec aucune des deux autres (discours et référentiels), entend cependant mettre l'accent sur des phénomènes qui sont en général traités en passant, ou implicitement, et qui ont trait à deux caractéristiques des communautés politiques, la langue d'une part (le rôle qu'elle joue dans l'activité politique et dans la fermeture des communautés (Ferrera, 2005), certes relative, mais souvent passée sous silence) et, d'autre part, la solidarité relativement fermée qui préside à la redistribution, élément essentiel du fonctionnement de ces communautés dans le monde " développé ". Au coeur de la redistribution, les systèmes de protection sociale constituent notre objet de prédilection, et nous en étudions les réformes et les changements, y compris au niveau quasifédéral de la dite " Europe sociale ". On verra aussi que la prise en considération des cultures politiques (dans la protection sociale au sens le plus large possible5), entraîne des méthodes particulières d'enquête. Il faudra préciser le concept utilisé, d'une part, et d'autre part, les méthodes retenues pour le rendre opératoire. Auparavant, nous soulignerons les limites de l'utilisation des explications fondées sur les " idées " et sur les " discours " dans la construction des politiques publiques, mais aussi dans leur européanisation.

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Jean-Claude Barbier. La culture politique et la diversité des systèmes de protection sociale. 2012. ⟨halshs-00687121⟩
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