Peut-on parler de prédication dans les premiers énoncés de enfant? - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Faits de langues Année : 2009

Peut-on parler de prédication dans les premiers énoncés de enfant?

Résumé

La structure prédicative a été longtemps considérée comme l'une des constantes les plus fondamentales du langage humain. Depuis la tradition greco-latine, les rhétoriciens arabes du XI° siècle ou la grammaire de Port Royal, un énoncé est constitué d'un sujet et d'un prédicat qui lui est attribué. Même si cette conception s'est transformée dans les grammaires scolaires en opposition sujet/verbe et dans certaines théories linguistiques récentes sous la forme verbe/compléments - le sujet étant depuis Jespersen parfois vu comme le « complément de rang zéro » (Culioli), ou un actant parmi d'autres (Tesnière) - nous restons dans une logique binaire, et cela suppose que l'énoncé comporte au moins deux éléments linguistiques.
Or, on sait que l'enfant commence autour de l'âge de un an à produire des énoncés à un terme, tels que « bobo », « enco(re) », appelées holophrases par Laguna (1927). On se demandera dans un premier temps de notre présentation si ces premières productions sont à considérer comme de véritables prédications et si l'on peut parler de mise en relation d'un sujet et d'un prédicat alors qu'un seul élément linguistique est explicitement produit. Laguna justifie son choix du terme holophrase en proposant de voir dans ces énoncés des structures prédicatives dont l'un des termes est linguistique et l'autre est à chercher dans le contexte situationnel. Nous montrerons que pour considérer ces productions comme des prédications, il faut également prendre en compte la collaboration entre l'enfant et son interlocuteur qui doit reconstruire la relation prédicative entre un support prédicatif présent dans le contexte et l'élément linguistique produit par l'enfant :
Exemple (Léonard 1.08) : l'enfant prend son bain, il veut s'asseoir sur le rebord de la baignoire et glisse.
L : bé
M : T'es tombé encore !
Il s'agit d'énoncés qui portent sur des référents présents et le travail co-énonciatif de l'adulte pour identifier le support de la prédication en est facilité. Durant cette première phase, les énoncés des enfants seraient donc des rhèmes et les thèmes (ou simplement les supports, nous travaillerons sur cette distinction) seraient implicites.
Dans un deuxième temps, nous proposerons une analyse du passage à l'énoncé à plusieurs termes, qui peut se concevoir comme étant la manifestation d'un besoin d'expliciter le support de la prédication quand on ne peut pas le reconstruire par le contexte. A partir du moment où rien de perceptible ne peut aider l'adulte à reconstruire la relation prédicative, l'enfant proposerait un élément linguistique supplémentaire (ou plusieurs) et manifesterait ainsi son souci d'être compris de l'autre. Ainsi, l'enfant serait prêt à entrer dans « la syntaxe » quand d'une part il est capable de produire plusieurs termes avec un même contour intonatif (pas de pause de plus de 1,5 secondes Greenfield & Smith 1978), et d'autre part, il est en mesure de se représenter la pensée de l'autre, d'avoir une « théorie de l'esprit ».
Prenons un exemple de récit de la journée à la crèche où le support de prédication ne peut pas être connu de la mère (Léonard 2 ;0):
L : Matine nané gato.
M : Martine, elle t'a donné des gâteaux ?
Il s'agit ici d'un énoncé évènementiel, appelé par Bruner énoncé extrinsèque (qu'il oppose aux énoncés intrinsèques ou génériques). Aucun élément dans cet énoncé n'a fait au préalable l'objet d'une attention partagée, l'enfant est alors obligé de définir le sujet - argument du verbe mais pas thème à proprement parler puisqu'il n'est pas partagé. Nous considérons comme Bruner que chez l'enfant, il y a dissociation entre deux types d'énoncés:
- ceux qui disent quelque chose d'un thème préalablement partagé : « le clown (dont nous venons de parler) i fait ça (grimace) »
- ceux qui mettent en place un événement « l'é pati David ».
La différence essentielle tient dans le statut du support de la prédication - connu ou non connu de l'interlocuteur- et la reconnaissance par l'enfant de ce statut. Nous tenterons de montrer, notamment en prenant des exemples chez des enfants présentant des troubles du langage, qu'il faut attendre que la place de support soit instanciée linguistiquement dans ces deux types d'énoncés, pour que l'on puisse véritablement parler de fonction sujet dans ce que l'on imagine être la « grammaire » de l'enfant. Reste à décider si l'on peut parler tout de même de prédication...

Mots clés

Domaines

Linguistique
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Dates et versions

halshs-00387383 , version 1 (25-05-2009)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00387383 , version 1

Citer

Aliyah Morgenstern, Laurent Danon-Boileau. Peut-on parler de prédication dans les premiers énoncés de enfant?. Faits de langues, 2009, 31-32, pp.57-65. ⟨halshs-00387383⟩
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