La parole comme acte - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2007

La parole comme acte

Résumé

La qualification d'un événement comme action ne semble a priori pas concerner le domaine de la parole : l'action, comme telle, semble être quelque chose qui intervient dans le monde en ce sens qu'elle doit avoir des conséquences ou encore des effets mesurables. Si je prends le train pour Grenoble, mon action entraîne un certain nombre d'effets qui lui sont liés et qu'on peut appréhender dans l'état du monde. Or le langage ne semble rien changer, du moins pas en tant que langage : certes, les vibrations sonores qui le portent peuvent modifier l'atmosphère ; de la même façon, les marques écrites qui en sont le vecteur peuvent modifier l'état du papier sur lequel elles sont inscrites ; mais les effets considérés ne sont alors pas ceux du langage en tant que tel, mais plutôt ceux de ses médiateurs physiques. Le langage se caractérise plutôt par sa capacité cognitive à dire des choses, c'est-à-dire par le fait qu'il a un « contenu », lequel semble relativement indifférent aux supports matériels qui le véhiculent. A ce titre, il ne semble pas que le langage puisse avoir des conséquences ou puissent engendrer des « effets » au sens commun du terme. Bien au contraire, l'analyse du langage en fait un ensemble de signes qui n'ont d'autre fonction que de renvoyer à autre chose – le sens, la signification ou ce qu'on appelle désormais une « proposition ». Cette dernière n'est pas seulement indifférente à la structure matérielle du langage, elle est également indifférente à la structure proprement linguistique, puisqu'elle peut être exprimée par des énoncés de forme différente : « le chat est sur le tapis » comme « The cat is on the mat » expriment tous les deux la proposition que le chat est sur le tapis, ou cette signification. On atteint là un fort degré d'évanescence de la réalité liguistique par rapport à la réalité matérielle où des changements peuvent s'opérer.
Or ce caractère évanescent du langage n'est généralement pas supposé s'arrêter à ce niveau. En effet, pour reprendre la belle formule de F. Récanati1, la fonction du langage en tant qu'il est porteur de signification est généralement de rendre compte, « dans une sorte de transparence », d'un certain état du monde. Le langage est censé dire le monde, c'est-à-dire le rapporter comme une sorte de milieu translucide : dire le monde, cela semble supposer de s'effacer devant lui, de ne surtout pas s'inscrire en lui. On est donc bien loin de l'idée que le langage puisse jamais agir.
La révolution opérée par Austin dans les années 19502 consista précisément à critiquer radicalement cette conception « représentationnaliste » du langage, qui y voyait une sorte de médium absolument neutre, porteur naturel de la connaissance, pour montrer qu'en réalité le langage ne disait quelque chose – et notamment à propos du monde – qu'à parvenir à réaliser de manière adéquate une certaine action. Contre la réduction du langage à la sémantique, Austin entendait réintroduire son rôle foncièrement pragmatique, afin de critiquer ce qu'il appelait « l'illusion descriptive », qui n'est qu'un autre nom du péché scolastique qu'affectionnent les philosophes quand ils oublient trop vite les conditions ordinaires de leurs discours théoriques. Austin entendait ainsi montrer que tout discours comportait de manière essentielle une dimension pragmatique, qui permet de requalifier tout énoncé (réussi) comme un acte de parole (ou de discours) accomplissant quelque chose : dire c'est faire. Ainsi, par exemple, dire que je promets, c'est généralement promettre ; de la même façon, dire qu'il fait beau dehors, c'est faire une affirmation.
Stratégiquement, c'est l'analyse de la promesse qui sert de pivot à la critique Austinienne, car elle permet de montrer trois choses : 1) l'impossibilité de la réduction sémantique ; 2) l'impossibilité de la réduction mentaliste ; 3) le rôle déterminant de la reconnaissance dans la réussite de l'énonciation et, par conséquent, la détermination sociale différentielle de sa réussite. 1) Une promesse ne se réduit pas, comme le veut l'analyse classique, au fait de dire que l'on promet. Si tel était le cas, d'une part, rien ne distinguerait la promesse de la simple déclaration d'intention ; d'autre part, jamais je n'échouerais à promettre dès lors que j'emploierais le bon vocabulaire. 2) Si la promesse consistait en une sorte d'engagement mental, elle n'engagerait à rien, car je pourrais toujours me dédire. 3) Si l'énonciation de la promesse était autonome, je ne m'engagerais vis-à-vis de personne, ni me m'engagerais à rien – par conséquent je ne promettrais pas.
Austin en conclut que l'énonciation de la promesse, dans la pratique quotidienne du langage, est nécessairement un acte – un acte fait en parlant mais ne se réduisant pas à la parole – ,quelque chose qui excède donc ce qui est dit et ce qui est pensé, advenant de par la reconnaissance socialement déterminée qu'on lui octroie, et qui se manifeste dans les conséquences normatives (c'est-à-dire les droits et les obligations) qui s'ensuivent de sa réalisation. Il observe donc bien un changement dans l'état du monde suite à l'énonciation réussie de la promesse (après l'énonciation de la promesse, j'ai une promesse à tenir, que je n'avais pas avant et on peut me juger en fonction de cette contrainte normative nouvelle) – ce qui lui permet de qualifier cet énonciation, d'acte – au sens propre (il y a bien modification de l'état du monde) – de parole. Austin en profite pour généraliser cette caractéristique à tous les énoncés et renverse complétement l'appréhension philosophique commune du langage en montrant que même les énoncés descriptifs forment des actes de parole.
Nous allons étudier ce mouvement de renversement (à la fois théorique et historique : Austin a contribué de manière décisive à renverser le positivisme logique) de perspective sur le langage en trois temps. Nous commencerons par étudier ce qui permet à Austin de qualifier la parole comme acte, avant de voir quelles sont les conditions sociales et contextuelles qui définissent la parole comme acte, afin de proposer finalement une esquisse d'une conception non-mythologique de l'efficacité pragmatique du langage, qui en fera la dérivation du pouvoir social des locuteurs.

Domaines

Philosophie
Fichier principal
Vignette du fichier
la_parole_comme_acte.pdf (325.71 Ko) Télécharger le fichier
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

halshs-00338354 , version 1 (12-11-2008)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00338354 , version 1

Citer

Bruno Ambroise. La parole comme acte. La généralisation de la qualification comme action chez Austin :
comment considérer que la parole est un acte ?
, Feb 2007, Grenoble, France. ⟨halshs-00338354⟩
732 Consultations
4353 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More