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Pré-Publication, Document De Travail Année : 2008

QUAND LES PROCESSUS S'INVERSENT : ETALEMENT ET DESETALEMENT URBAINS AU JAPON,MANIFESTATIONS ET ENJEUX

Estelle Ducom
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  • PersonId : 845935

Résumé

Ce papier s'attache dans un premier temps à prendre la mesure de l'emprise territoriale des villes japonaises dont le modèle, fondé sur la double croissance économique et démographique, se traduit spatialement par un étalement extrême et des formes récurrentes obéissant à des logiques communes. Or, le Japon connaît actuellement une situation démographique sans précédent caractérisée par le vieillissement et la diminution de la population, ainsi qu'une situation économique préoccupante. Dès lors, les derniers fronts de conquête urbains deviennent les premiers secteurs de déprise où se pose la question du devenir de ces formes urbaines diffuses se vidant de leur contenu. A travers le prisme du développement durable, cette situation conduit à s'interroger sur les conséquences de l'extrême dilution, spatiale et sociale, qui caractérise les agglomérations japonaises contemporaines, et sur l'après étalement, la gestion de ce que l'on qualifiera de rétraction urbaine avec toutes les conséquences induites en termes sociaux, économiques et paysagers.

Jusqu'à une période récente, le modèle urbain japonais trouvait son origine dans l'expansion démographique et économique : population urbaine de plus en plus importante, dynamisme économique et coût élevé du sol s'expliquant par la toute puissance de la propriété foncière, encouragée par une réglementation libérale et exacerbée par de lourdes contraintes parcellaires (voir les travaux de Natacha Aveline). Ainsi, ce sont essentiellement les logiques de marché et les stratégies des opérateurs privés qui ont présidé à la morphogénèse des grandes villes. Les groupes ferroviaires ont joué un rôle prédominant, dans la mesure où ils ont très rapidement aménagé des zones résidentielles le long de leurs lignes et équipé de nombreuses gares de banlieues de multiples services (boutiques, restaurants, parcs, équipements sportifs...). En terme de formes, ce processus a conduit au développement, toujours plus loin, de banlieues résidentielles offrant des logements de masse aux classes moyennes n'ayant pas les moyens de s'installer plus près des centres-villes, et prêtes à circuler en train plusieurs heures par jour entre le domicile et le lieu de travail. Résultat : des villes étalées, basses et densifiables. Dans l'ensemble des 23 arrondissements de Tokyo, par exemple, la densité de population s'élève à 13225 habitants par km², soit une fois et demie moins que dans les 20 arrondissements de Paris ; et Tokyo, en dépit de sa haute densité de peuplement au centre de l'agglomération, constitue une ville basse au potentiel de développement considérable, comme l'atteste les opérations de verticalisation dont font l'objet certains quartiers centraux. En effet, traditionnellement, les villes japonaises se structurent selon un fort coefficient d'emprise au sol des constructions (soit une densité de bâti importante) mais une faible hauteur, donc une densité humaine moyenne.
Etalement, horizontalité, fortes densités de bâti caractérisent donc la plupart des grandes villes japonaises et en particulier l'agglomération tokyoïte. Des villes nouvelles ont d'ailleurs été aménagées à la fin des années 1960 pour absorber une partie de la croissance urbaine. Rompant partiellement avec l'urbanisme traditionnel, elles ont ouvert la voie de la verticalisation: immeubles de 5 étages, puis plus, relativement espacés; grande hauteur mais faible densité de bâti. Mais paradoxalement, elles ont été conçues selon un modèle similaire de ville diffuse structurée par la métrique ferroviaire et automobile. En outre, la forme même de ces banlieues aux densités bâties faibles a pratiquement réduit à néant la densité des animations (richesse des commerces de proximité, des lieux de convivialité) et la diversité des populations propres aux quartiers densément construits.

Cependant, depuis le début des années 1990, le Japon est le théâtre de transformations radicales : crise économique et fin de la croissance d'une part, vieillissement et diminution de la population d'autre part. Or, ces transformations ont des conséquences directes sur la forme et la structuration de la ville, à différentes échelles. Pour cerner ces processus complexes, on s'est attaché à l'étude du secteur de Tama New Town, à une quarantaine de kilomètres à l'Ouest de Tokyo. Aménagée ex-nihilo à la fin des années 1960 pour absorber la croissance de la capitale, cette ville nouvelle symbolise à la fois le mode d'extension par étalement urbain caractéristique de Tokyo, et la déprise actuelle dont sont l'objet les lointaines banlieues. Les transformations de l'occupation des sols y ont été abordées par traitement cartographique, à l'aide des systèmes d'informations géographiques. L'objectif consistait à tester l'hypothèse de rétraction périurbaine en élaborant une cartographie évolutive de la « tâche urbaine ». Les sources mobilisées sont les données numériques de Tokyo Metropolitan Government et du Geographical Survey Institute of Japan. D'autre part, un travail de traitement de données statistiques issues des derniers recensements a visé à mieux cerner les évolutions démographiques à différentes échelles. En outre, une enquête photographique minutieuse au sein de ces secteurs a permis de réaliser un suivi du paysage urbain. Enfin, des entretiens menés sur le terrain auprès des habitants mais aussi de responsables d'associations, d'anciens propriétaires fonciers et d'architectes urbanistes visaient à éclairer le volet des perceptions, les difficultés actuelles et le poids des initiatives locales. Ce travail a permis de mettre en évidence sinon une rétraction urbaine au sens physique, du moins une involution démographique incontestablement accentuée dans la lointaine banlieue. Cette tendance est renforcée par les nombreuses et massives opérations de renouvellement urbain entreprises au centre de la capitale. Ainsi, après vingt ans de croissance effrénée et de dilution spatiale illimitée sous la pression d'une énorme force centrifuge, Tokyo commence, par endroits, à se rétracter, selon des processus centripètes jusque-là inconnus. Il en résulte une situation de crise pour les secteurs les plus reculés de la grande banlieue où un processus de dévitalisation est déjà à l'oeuvre. Il faut ajouter à ce problème le fait qu'ayant accueilli des flux massifs de primo-accédants d'une même classe d'âge au moment de leur aménagement, les lointaines banlieues, dont font partie un certain nombre de villes nouvelles, comptent aujourd'hui une majorité de personnes âgées aux revenus trop faibles pour se rapprocher du centre et de l'offre de services. On observe ainsi des couronnes périurbaines de plus en plus cloisonnées selon les âges et les revenus. Si l'exemple tokyoïte est privilégié dans ce papier, ce phénomène émergent est observable dans l'ensemble des agglomérations japonaises.
Dès lors, plusieurs perspectives de réflexion s'imposent. La ville durable souhaitée est supposée, selon les termes mêmes de la conférence de Rio, « compacte, mixte et citoyenne ». A l'opposé de cette nouvelle norme, les villes japonaises sont très étalées et de plus en plus ségréguées selon les âges et les revenus des habitants. Cette situation remet en cause le modèle urbain japonais. En outre, la désertion partielle d'un certain nombre de secteurs périurbains pose également question : comment rendre compte de l'obsolescence de certaines formes urbaines ? Comment conserver de l'urbanité dans une telle situation de rétraction? Comment, finalement, gérer le front urbain avant qu'il évolue en friche urbaine ? En définitive, cette problématique interroge la notion de durabilité des projets urbains et soulève des enjeux d'aménagement essentiels.

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halshs-00203108 , version 1 (09-01-2008)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00203108 , version 1

Citer

Estelle Ducom. QUAND LES PROCESSUS S'INVERSENT : ETALEMENT ET DESETALEMENT URBAINS AU JAPON,MANIFESTATIONS ET ENJEUX. 2008. ⟨halshs-00203108⟩
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