Les locutions "au milieu / au centre de" dans leur acception spatiale : une question de profilage

Philippe Gréa (1)

1 MoDyCo - Modèles, Dynamiques, Corpus

Dans leur acception spatiale, les locutions prépositionnelles au {milieu de / au centre} de dénotent une relation de localisation qui n'est pas tout à fait identique. L'explication généralement avancée se fonde sur une représentation géométrique du sens de centre et de milieu. Dans cette optique, le centre désignerait un point ou une région située à équidistance des limites de l'objet dénoté par le complément. Le milieu, comme le TLFi le suggère, désignerait quant à lui « un endroit relativement éloigné des bords, de la périphérie ». Si cette approche a l'avantage de la simplicité, plusieurs raisons nous amènent pourtant à rechercher une autre explication. En effet, les observables présentent des distributions qui échappent en partie à une explication fondée sur la forme ou la dimension du complément.

Nous montrerons que c'est le caractère délimité (ou non) du complément qui permet le mieux de rendre compte du comportement des locutions au [milieu de / au centre] de. Pour justifier cela et définir la notion de délimitation, nous mettons en relief un certain nombre d'oppositions.
On constate ainsi que certaines unités dénombrables (dont nous montrerons qu'elles ont des propriétés sémantiques particulières) changent de sens selon la locution employée. C'est le cas, par exemple, de campagne :

(1)a. Au bout d'une heure, j'étais au milieu de la campagne absolument égaré.
b. Le logement doit être au centre de la campagne présidentielle.

Dans le cas d'un complément pluriel, et après neutralisation de certains paramètres pragmatiques sur lesquels nous revenons, les deux locutions déterminent des lectures très différentes : distributive dans le cas de au centre de, collective dans le cas de au milieu de :

(2) a. Les conditions physiques qui règnent au centre des étoiles sont terribles (dans chaque étoile, au centre – lecture distributive)
b. Les conditions physiques qui règnent au milieu des étoiles sont terribles (parmi les étoiles – lecture collective)

Les noms de collection constituent eux aussi un cas intéressant puisqu'ils ne sont vraiment naturels qu'avec au milieu de :

(3) a. Au [milieu / *centre] de la vaisselle
b. Au [milieu / *centre] de la lingerie

Enfin, les massifs distinguent clairement les deux locutions. On constate ainsi que au centre de n'accepte pas les massifs comme compléments, sauf lorsque ces derniers ont aussi un sens comptable :

(4) a. Il marche au [milieu / *centre] de la terre labourée sans relever le bas de son pantalon.
b. Voyage au centre de la terre.
(5) a. Les dernières vitres dégringolèrent, et au [milieu / *centre] du verre un âne attaché, qui ne tentait pas de fuir, se mit à braire désespérément sous la pluie qui recommençait à tomber.
b. Il faut verser la bière au centre du verre pour compléter le faux col.
(6) a. Ce n'est pas facile de travailler au [milieu / *centre] de la peinture.
b. On aperçoit un personnage grimaçant au centre de la peinture.

L'étude de ces différents cas nous permet de montrer que la locution au centre de impose une délimitation à son complément, alors que au milieu de n'en spécifie aucune. Pour finir, nous proposons une modélisation de ces locutions prépositionnelles dans le cadre théorique de la grammaire cognitive (Langacker).

Mots clés: Locutions prépositionnelles; profilage; saillance; imagerie; grammaire cognitive; délimitation; massif; comptable; lecture collective; lecture distributive; spécificités; loi hypergéométrique; noms de collection

Domaines: Linguistique

Philippe Gréa. Les locutions "au milieu / au centre de" dans leur acception spatiale : une question de profilage. Autour de la préposition (position, valeurs, statut et catégories apparentées à travers les langues), Sep 2007, Caen, France. pp.1-19. ⟨halshs-00175151⟩