Comment la langue devient une affaire d'État
Résumé
Cet article revient sur un moment fort du développement des politiques linguistiques en France : le milieu des années 1960. Cette étude permet de faire l'hypothèse que l'intervention linguistique publique procède moins de la continuation d'un « héritage » linguistico-politique prédisposant à la politisation des questions de langue — le français comme langue véhiculaire des élites politiques et littéraires européennes, de la diplomatie et des droits de l'homme, de la « mission civilisatrice » des entreprises coloniales, etc. — que des conditions de plus en plus problématiques de la perpétuation d'un tel héritage. Peu à peu, la propension issue de ce passé glorieux à faire de la langue le vecteur de grandes ambitions se mue en une propension à exprimer les craintes inspirées par le changement et l'incertitude dans les termes sublimés de l'univers linguistique. Ce basculement tient à l'ensemble des mutations qui interviennent au cours de cette période tant au niveau international que dans la structure de l'espace social national, et forment la base sociale de ce qui devient le « problème » de la langue française. Il se manifeste par des prises de position publiques et la création d'une instance officielle qui font de la « défense de la langue française » leur mot d'ordre. Si les questions linguistiques deviennent bien alors affaires d'État, c'est ainsi à la faveur de transformations objectives et de mobilisations collectives, et non parce que « la » langue serait par essence une fonction d'État.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)