Le « tournant » de la défense dans la politique étrangère et de sécurité commune - HAL-SHS - Sciences de l'Homme et de la Société Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès 4ème colloque de la SEI (AFSP), « Les politiques publiques internationales », Paris, 21-22 avril 2005 Année : 2005

Le « tournant » de la défense dans la politique étrangère et de sécurité commune

Résumé

Si la PESD fait l'objet d'articles descriptifs, techniques ou bien analytiques en matière de relations internationales, son étude par le prisme de l'analyse des politiques publiques demeure en revanche tout à fait lacunaire. C'est pourquoi je me propose d'analyser la construction de cette politique publique spécifique oscillant entre les Etats et l'Union Européenne en m'appuyant sur les outils conceptuels et les méthodes proposés par l'analyse des politiques publiques, et notamment en m'appuyant sur la « foreign policy analysis » que propose Graham T. Allison dans sa stimulante analyse de la crise des missiles de Cuba .

Le Corps Européen, première pierre à l'édifice de la construction d'une politique de défense à l'échelle européenne, est une initiative franco-allemande de 1991 née du contexte de la chute du Mur de Berlin, de la fin de la logique bipolaire avec l'effondrement soviétique et surtout du début de la crise yougoslave qui a brutalement mis les Etats d'Europe occidentale face à leurs responsabilités et surtout leur impuissance à résoudre le conflit. Comme l'indique la note de bas de page dans la lettre conjointe de François Mitterrand et Helmut Kohl du 14 octobre 1991 qui mentionne pour la première fois l'idée de l'Eurocorps, sa vocation est la suivante : « La coopération militaire franco-allemande sera renforcée au-delà de la brigade existante . Les unités franco-allemandes pourraient ainsi constituer la base d'un corps européen auquel des forces d'autres Etats-membres de l'Union de l'Europe Occidentale pourraient participer. Cette nouvelle structure pourrait également avoir valeur de modèle pour une coopération militaire plus étroite entre les Etats-membres de l'UEO. » L'idée sous-jacente était d'amorcer un mouvement de fond visant à constituer à long terme une politique européenne de défense, et même une défense commune comme le dispose le titre V relatif à la PESC du Traité de Maastricht (en particulier les articles J.4 et J.6).
Lorsque l'on cherche à saisir la genèse du corps Européen, et partant d'une politique européenne de défense , les outils conceptuels de la « foreign policy analysis » telle que la développe Allison s'avère tout à fait adéquats dans le sens où l'Etat n'est pas une structure monolithique dotée de préférences définies une fois pour toutes et mettant en œuvre une rationalité totale en vue d'atteindre des objectifs clairement établis. Dans le cas du Corps Européen, la triple lecture du processus décisionnel qu'Allison met en œuvre afin d'analyser la résolution de la crise des missiles de Cuba en 1962 se révèle particulièrement pertinente car il s'agit dans les deux cas, l'Eurocorps et la crise de Cuba, d'une décision présidentielle concernant le domaine militaire, et l'analyse des entretiens conduits paraît effectivement confirmer le choix de ce paradigme. Le processus décisionnel qui marque la création de cette institution, et par la suite l'émergence de la PESD , se décline sur un triple niveau : rationnel, bureaucratique et interpersonnel, et symbolique. L'analyse de la genèse, puis de la mise en œuvre du Corps Européen, et ensuite par extension d'une politique de défense à l'échelle européenne, ne saurait être complète sans y introduire aussi des éléments d'approche cognitive . Cette politique publique spécifique gagne d'autant plus à être décryptée aussi par le recours à des outils conceptuels cognitif qu'elle consiste en un type d'action publique empreint d'une portée symbolique forte. Cette approche complémentaire permet de réintroduire le rôle des processus cognitifs dans la construction d'une politique de défense. Le déclencheur du processus d'élaboration du Corps Européen, puis d'une politique européenne de défense n'est pas seulement le constat de l'impuissance européenne en Yougoslavie, puis dans les Balkans, mais aussi la réforme entreprise par l'OTAN qui modifie son référentiel de défense, ce qui conduit les réseaux d'acteurs évoqués plus haut à se constituer en « coalitions de cause » et à se saisir à leur tour d'un nouveau référentiel de défense européen dans le cadre de l'Union Européenne. Ici la modélisation proposée par Paul Sabatier et Hank Jenkins-Smith avec l'Advocacy Coalition Framework (ou ACF) se révèle particulièrement adaptée : elle permet non seulement de rendre compte des mécanismes décisionnels qui se jouent ici, mais aussi de saisir les points aveugles et les tensions récurrentes en appuyant l'analyse sur le système de croyance des acteurs concernés par la genèse de l'action publique en question : plus on s'approche du deep core (ou policy core, noyau dur du système de croyance des acteurs), plus les différents acteurs resteront crispés sur leurs positions propres. Et le corollaire de cette hypothèse est que les acteurs seront plus facilement enclins à céder du terrain sur les aspects secondaires de leur système de croyances touchés par l'action publique envisagée car une modification concernant les aspects secondaires n'entraînera pas de véritable remise en cause de la doctrine d'action publique globale, en l'occurrence des choix de politiques de défense antérieurs considérés comme fondement de la doctrine militaire d'un Etat. De même, le niveau de conflictualité du débat engagé est déterminant dans la recherche d'un compromis politique. En fait, le compromis qui marque fréquemment le lancement d'une politique publique se réalise par l'interaction d'acteurs, ou de coalitions d'acteurs comme c'est le cas avec le Traité de Maastricht sur l'enjeu de défense, un sujet à fort potentiel conflictuel, et par suite ave le Traité de Nice (instituant les organes politico-militaires de l'UE (COPS, EMUE, CMUE, Centre satellitaire...).
Enfin en ce qui concerne la mise en œuvre du Corps Européen, puis la mise en œuvre de la PESD plus récemment, il est intéressant de se référer à certains concepts présents dans l'approche dite du néo-institutionnalisme historique dans la mesure où une politique européenne de défense demeurera très certainement pour longtemps encore une politique intergouvernementale, dont les blocages proviennent fréquemment des trajectoires nationales différentes des Etats-membres impliqués. Les blocages rencontrés, et sur ce point le cas du Corps Européen semble particulièrement significatif, peuvent être largement imputés à la « dépendance au sentier » (ou path dependency ) des acteurs institutionnels concernés par cette mise en œuvre : un exemple empirique probant est le maintien d'un système de notation et d'une politique de ressources humaines nationales pour les militaires des cinq nations constituant le Corps . De même, la question de la relation à l'OTAN, ou la façon d'envisager les opérations extérieures est fortement influencée par les choix politico-stratégiques effectués par les Etats auparavant, que cela concerne l'Eurocorps ou la PESD.
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Dates et versions

halshs-00008980 , version 1 (14-02-2006)

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  • HAL Id : halshs-00008980 , version 1

Citer

Delphine Deschaux-Beaume. Le « tournant » de la défense dans la politique étrangère et de sécurité commune. 4ème colloque de la SEI (AFSP), « Les politiques publiques internationales », Paris, 21-22 avril 2005, Apr 2005, pp.23. ⟨halshs-00008980⟩
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