Le marchŽ fait-il la ville?  Ecole thŽmatique dÕAussois 2010

http://controverses.hypotheses.org/

 

 

La promotion immobilire et la division sociale de l'espace rŽsidentiel

 

Alice Romainville

DŽpartement de GŽographie – UniversitŽ Libre de Bruxelles

alice.romainville@ulb.ac.be

+32 2 650 65 16

 

 

Les transformations les plus remarquables de l'espace urbain sont gŽnŽralement liŽes ˆ des processus de revalorisation, c'est-ˆ-dire de hausse de la rente foncire[1], obtenue par transformations du cadre b‰ti. Ces transformations peuvent tre des opŽrations de construction ou de rŽnovation, impliquant ou non des dŽmolitions prŽalables, des changements d'affectation, et des changements de population (immigrations dans le cas de l'urbanisation d'une zone non encore occupŽe par du logement; gentrification[2] dans le cas de la revalorisation d'un quartier populaire, par ex).

 

Qu'est-ce qui explique que certains quartiers connaissent de tels processus et pas d'autres? Pourquoi ˆ tel moment et pas avant ou aprs? Comment expliquer la gŽographie des prix de l'immobilier, la gŽographie rŽsidentielle? Pour faire simple, on pourrait dire qu'expliquer les Žvolutions dans la division sociale de l'espace urbain consiste ˆ rŽpondre, face ˆ un quartier en cours de revalorisation, ˆ trois questions: Ç pourquoi? È,  Ç pourquoi ici? È et Ç pourquoi maintenant? È. Ces questions ne sont simples qu'en apparence. Le texte qui suit est une tentative de faire le point sur les diffŽrentes faons qu'ont les gŽographes de rŽpondre ˆ cette question. Il  prŽsente, par la mme occasion, la problŽmatique de recherche et la mŽthodologie d'une thse de doctorat en gŽographie en cours sur le thme de la production de logement ˆ Bruxelles.

 

 

Expliquer la division sociale de l'espace: deux courants de recherche

 

Lorsqu'on s'intŽresse ˆ la faon dont les gŽographes ont, depuis les annŽes '70, tentŽ d'expliquer la production et l'Žvolution des espaces urbains rŽsidentiels, deux positions semblent ˆ premire vue s'opposer: l'une Žtudiant principalement les caractŽristiques de la demande de logement, elles-mmes dŽterminŽes par des Žvolutions dŽmographiques, sociales et Žconomiques; l'autre insistant sur le r™le des investisseurs, qu'ils soient privŽs (promoteurs, institutions financires,...) ou publics, c'est-ˆ-dire sur les dŽterminants de l'offre de logement.

 

La thŽorie Žconomique nŽoclassique considre que le Ç prix du sol È, comme pour toute autre marchandise, est dŽterminŽ par le jeu de l'offre et de la demande, c'est-ˆ-dire par la combinaison des comportements des producteurs et des consommateurs, i.e. pour les premiers, la maximisation des profits, et pour les seconds, la maximisation de la Ç satisfaction È (Lipietz, 1974). Cette thŽorie, qui semble concŽder un r™le Žquivalent ˆ l'offre et ˆ la demande, s'oppose aux thŽories classiques et marxistes qui accordent un r™le dŽterminant ˆ l'offre (ˆ la production). Comme tout autre bien, le logement peut tre analysŽ ˆ la fois comme un produit qu'il faut vendre et comme un besoin qu'il faut satisfaire. La spŽcificitŽ de la thŽorie nŽoclassique n'est pas dans les Ç fonctions de production È, sur lesquelles toutes les thŽories s'accordent, mais bien dans l'affirmation des Ç Ç fonctions de satisfaction È, c'est-ˆ-dire sur la psychologie individuelle des consommateurs considŽrŽe comme donnŽe irrŽductible È (Lipietz, 1974, p.12). C'est donc sur le r™le de la demande que les thŽories entrent en contradiction, les uns la considŽrant comme dŽterminante, les autres la nŽgligeant ou la considŽrant comme un Ç produit dŽrivŽ È de la production capitaliste de logements. Pour Lipietz, Ç il n'y a jamais eu de Ç courbe de satisfaction È È, le capital choisit Ç ce qu'il est rentable de satisfaire, (...) imposant par tous les moyens le gožt de ce qu'il produit È (p.40-41).

 

Exemple (parmi d'autres) d'une explication basŽe principalement sur la demande de logements,  Leal (2003) explique la diffŽrence de prix des logements entre diffŽrentes zones de la ville par le fait que la demande se concentre dans certaines zones plut™t que dans d'autres, et qu'elle (la demande) Ç est disposŽe ˆ payer dans ces zones un prix plus ŽlevŽ pour un logement similaire, ce qui s'explique par les comportements sociaux des acquŽreurs ou des locataires de ces logements È (p.25[3]). A l'opposŽ, Harvey et Chatterjee (1974) expliquent: Ç the geographic structure is continuously being transformed by the ebb and flow of market forces, the operations of speculators and realtors, the changing potential for homeownership, the changing profitability of landlordism, the pressures emanating from community action, the interventions and disruptions brought about by changing governmental and institutional policies, and the like. It is this process of transformation of and within a structure that must be the focus for understanding residential differentiation È (p.25).

 

 

Le pourquoi de la gentrification

 

Cette opposition entre les tenants d'explications basŽes respectivement sur la production et la consommation de logements est particulirement marquŽe dans l'importante littŽrature qui a ŽtŽ consacrŽe au thme de la gentrification depuis les premires Žtudes qui, dans les annŽes 70, cherchaient ˆ expliquer ce phŽnomne (voir Hamnett, 1991; Van Criekingen, 2001; Wilson, 1989). Pour Hamnett (1991), cette opposition entre les explications basŽes sur la consommation de logements d'une part, sur la production d'autre part, recoupe d'autres oppositions fondamentales parmi les facteurs explicatifs dont se servent les gŽographes, ce qui fait du dŽbat sur l'explication de la gentrification un dŽbat thŽorique majeur pour la gŽographie humaine actuelle.

 

Les explications basŽes sur la consommation d'espaces gentrifiŽs et donc sur la production de gentrifieurs (potentiels) font appel ˆ un ou plusieurs facteurs de type

-      dŽmographiques ou socio-demographiques: Žvolution de la structure d'‰ge de la population avec l'arrivŽe ˆ l'‰ge adulte d'une population plus nombreuse; multiplication des petits mŽnages par le recul de l'‰ge au mariage et au premier enfant et diffusion de nouvelles formes de cohabitation non familiales, rŽsultant en un allongement de la pŽriode entre l'Žmancipation des jeunes et leur stabilisation dans un nouveau mŽnage familial (Van Criekingen, 2001 par ex.); croissance des mŽnages ˆ deux revenus (Vandermotten et al., 1999 par ex.)

-      liŽs au marchŽ du travail: restructuration du marchŽ du travail, ˆ la fois sociale (expansion d'une nouvelle classe de travailleurs hautement qualifiŽs dans des fonctions manageriales, administratives et techniques dans le secteur tertiaire – Ley, 1980, citŽ par Hamnett, 1991 par ex.) et spatiale (concentration de ces emplois dans les centre-villes - Ley, 1980, citŽ par Hamnett, 1991; Garnier, 2010 par ex.); flexibilisation et prŽcarisation de l'emploi pour les jeunes adultes (Van Criekingen, 2001 par ex.)

-      culturels: prŽdilection des nouveaux travailleurs hautement qualifiŽs du secteur tertiaire pour des Ç valeurs urbaines È (Ley, 1986, citŽ par Hamnett, 1991 par ex.), entre autres la diversitŽ ethnique et architecturale (Ley, 1981, citŽ par Hamnett, 1991 par ex.); concentration dans les centre-villes des Žquipements culturels et de loisirs correspondant aux besoins des travailleurs hautement qualifiŽs (Mullins, 1982, citŽ par Hamnett, 1991; Garnier, 2010 par ex.).

 

A l'opposŽ de ce type d'explications, un courant d'inspiration marxiste, menŽ ˆ ses dŽbuts par Smith (1979, 1982), ayant constatŽ la faiblesse des thŽories urbaines nŽoclassiques pour expliquer la gentrification, insiste sur les mŽcanismes par lesquels l'espace urbain Žvolue suite ˆ des changements (shifts) dans la localisation et la quantitŽ de capital investi dans le secteur de la construction et du logement, changements eux-mmes liŽs aux Žvolutions cycliques affectant l'Žconomie dans son ensemble. Pour Smith (1982), ces changements mnent au rent gap, situation dans laquelle la rente foncire perue actuellement est substantiellement infŽrieure ˆ la rente foncire Ç potentielle È, c'est-ˆ-dire qui pourrait tre obtenue en changeant l'affectation du sol (par exemple en remplaant des logements populaires par du logement haut de gamme). Lorsque ce gap est assez important dans un quartier, une opŽration de revalorisation immobilire devient une entreprise profitable et le capital peut ˆ nouveau y affluer. Ceci permet d'expliquer pourquoi ces nouvelles opportunitŽs d'investissement apparaissent dans les centre-villes, menant ˆ la gentrification, lorsque ces espaces centraux ont ŽtŽ prŽcŽdemment dŽvalorisŽs suite au processus de pŽri-urbanisation.

Les chercheurs privilŽgiant ces explications basŽes sur la production d'espaces gentrifiŽs axent logiquement leurs analyses sur les stratŽgies spatiales des acteurs du secteur immobilier: promoteurs, institutions de prts hypothŽcaires, agents immobiliers.

 

Au contraire, le r™le des producteurs capitalistes de logements (avec ou sans l'aide des pouvoirs publics) est secondaire pour les tenants d'explications basŽes sur la consommation. Dans le modle Ç par Žtapes È souvent utilisŽ pour dŽcrire le processus de gentrification, il est souvent considŽrŽ que les investisseurs et les professionnels de l'immobilier n'interviennent qu'aprs les Ç pionniers È et les premiers Ç suiveurs È, profitant d'une Žvolution dŽjˆ en marche (voir par exemple Vandermotten et al., 1999, p.103-104, ou Ley, 1981, citŽ par Hamnett, 1991).

 

 

Tentative de conciliation

 

Il est intŽressant d'analyser le cas de Madrid dans le cadre de cette opposition thŽorique: Madrid a connu un processus de pŽriurbanisation ˆ partir des annŽes '60, mais plus limitŽ que les villes du Nord-Ouest de l'Europe, et selon un schŽma moins diffus; la ville est restŽe plus compacte; les quartiers du centre y sont moins dŽgradŽs et ont gardŽ des habitants ˆ revenu ŽlevŽ (Vandermotten et al., 1999). En tŽmoigne la gŽographie des prix de l'immobilier en 2002 qui est, grosso modo, ˆ l'inverse de celle de Bruxelles: prix ŽlevŽs au centre, les prix les plus bas se trouvant dans les pŽriphŽries sud et est (Santos Preciado, 2005). Depuis les annŽes '80 et en tout cas jusqu'ˆ la crise rŽcente, la croissance de population a bŽnŽficiŽ aux communes suburbaines, le processus de pŽriurbanisation s'accŽlŽrant ˆ la faveur d'un boom dans le secteur de la construction (Leal, 2003; GutiŽrrez Puebla et Garc’a Palomares, 2007). Les prix Žtant restŽs ŽlevŽs au centre, Madrid n'a, durant cette pŽriode, pratiquement pas connu de gentrification. Mais la demande de logements se trouvant modifiŽe par une explosion des petits mŽnages, la pŽriurbanisation madrilne est fort diffŽrente de celle de Bruxelles: il y a beaucoup d'immeubles ˆ appartements dans les zones urbanisŽes rŽcemment, et la taille des mŽnages est plus petite dans certaines zones pŽriphŽriques que dans la commune de Madrid[4]. Dans le cas de Madrid donc, malgrŽ des changements en partie similaires ˆ ceux qu'ont connus les villes du Nord-Ouest de l'Europe (multiplication des petits mŽnages, tertiarisation de l'Žconomie avec concentration des emplois de services hautement qualifiŽs dans le centre, prŽcarisation et flexibilisation de l'emploi), il n'y a pratiquement pas eu de gentrification des espaces centraux. Le dŽveloppement de la banlieue madrilne montre par contre qu'en ce qui concerne la localisation des logements produits, ce sont les contraintes de rentabilisation du capital qui sont dŽterminantes: globalement, les prix du foncier au centre de Madrid sont dŽjˆ trop ŽlevŽs pour qu'une injection massive de capital y soit rentable. En mme temps, la forme des logements produits en banlieue est, elle, fonction de la demande, c'est-ˆ-dire du type de mŽnages le plus reprŽsentŽ.

 

Pour gŽnŽraliser on pourrait dire que la demande existe et a certaines caractŽristiques qui Žvoluent (les besoins en termes de logement varient selon les segments de la population et ces segments ont des pouvoirs d'achat diffŽrents) mais que cette demande est, dans une certaine mesure, a-spatiale. C'est l'offre de logements qui est spatialisŽe, et qui est donc dŽterminante pour la division sociale de l'espace. Quelles que soient les Žvolutions dŽmographiques, sociales et Žconomiques, la demande de logements porte toujours sur des logements les plus grands, les plus confortables possibles et les plus faciles d'accs, au prix le plus bas possible, et cette demande s'exprime ˆ l'Žchelle de la ville entire, banlieue incluse (voire plus loin, selon les possibilitŽs de transport du moment). Ce sont les producteurs de logements – en ce compris les pouvoirs publics[5] – qui Ç canalisent È spatialement la demande existante pour qu'elle corresponde ˆ l'offre qui, elle, est Ç spatialisŽe È par les contraintes de profitabilitŽ. Selon la gŽographie du rent gap, les diffŽrents sous-secteurs de la production de logements (populaire, moyen, haut de gamme), qui demandent des investissements diffŽrents et offrent des rentabilitŽs diffŽrentes, produiront dans diffŽrentes parties de la ville, o se dirigeront les diffŽrentes catŽgories de population selon leur pouvoir d'achat.

 

Dans cette optique, chercher ˆ expliquer la division sociale de l'espace urbain en analysant les producteurs de logement, leurs pratiques et la gŽographie de leurs investissements prend tout son sens.

 

 

Etudier la production de logements: quelle mŽthode?

 

D'aprs Vandermotten et Marissal (2004), les acteurs susceptibles d'initier une Ç compŽtition pour l'espace È dans un quartier populaire et d'y provoquer une hausse de la rente foncire ne sont ni les usagers particuliers (futurs habitants), ni les petits ou moyens promoteurs (...) De telles valorisations supposent toujours une intervention de l'Etat ou de capitaux concentrŽs È (p.179-180). A Bruxelles, dans les quartiers o le taux de location est ŽlevŽ, il semble cependant que la production (par rŽnovation) de logements par leurs futurs propriŽtaires (bailleurs ou occupants) reste importante, et l'on sait que les bailleurs de la RŽgion de Bruxelles-Capitale sont en grande partie des Ç petits È bailleurs (Charles, 2007). Quelle est l'importance rŽelle, et l'impact sur la division sociale de la ville, de ces Ç petits È producteurs? Les revalorisations massives par les pouvoirs publics et/ou de grosses sociŽtŽs sont-elles rŽservŽes ˆ certains types d'espaces?

 

La recherche entamŽe au sujet des producteurs de logement ˆ Bruxelles – aussi bien publics que privŽs – devrait rŽpondre aux questions Ç qui produit? È, Ç o? È et Ç quand? È. Elle analysera l'importance relative, dans les diffŽrentes zones de la ville, des diffŽrents types de producteurs (publics vs. privŽs, sociŽtŽs vs. individus, sociŽtŽs distinguŽes selon leur taille), ainsi que le  Ç timing È de leurs interventions (retracer l'histoire de l'investissement d'un quartier par les diffŽrentes sortes de producteurs, et la mettre en relation avec l'Žvolution des valeurs foncires dans ce quartier).

Comment rŽpondre ˆ ces questions? Sur quels acteurs faut-il se pencher? Quelles informations sont disponibles et quelles sont leurs limitations?

 

Quels acteurs?

Chaque opŽration de construction/rŽnovation implique une sŽrie de r™les, qui peuvent tre ou non endossŽs par des personnes diffŽrentes: un propriŽtaire (avant l'opŽration), un investisseur ou prŽfinanceur, qui apporte les fonds nŽcessaires ˆ l'opŽration, un opŽrateur (entrepreneur) rŽalisant les travaux, un propriŽtaire final (aprs l'opŽration), et un usager final (l'habitant).

Topalov (1973, p.17-18) et Lipietz (1974, p.57-58) dŽcrivent trois formes de production de logements:

1¡ l'investisseur, le propriŽtaire final et l'usager final ne font qu'un: c'est le cas de la personne qui fait construire ou rŽnover un bien pour l'occuper lui-mme ensuite.

2¡ l'investisseur et le propriŽtaire final ne font qu'un, distinct de l'usager final: c'est le cas de la personne qui fait construire ou rŽnover un bien en vue de le mettre en location.

3¡ l'investisseur est distinct du propriŽtaire final: c'est un promoteur. Il est l'acteur qui utilise les fonds pour rŽaliser l'opŽration, c'est-ˆ-dire qu'il assure la transformation d'un capital en une marchandise-logement en vue de la vendre, logement qui sera ensuite occupŽ ou mis en location par son nouveau propriŽtaire. Le promoteur immobilier est nŽ suite ˆ l'accroissement de la part des revenus des mŽnages consacrŽe au logement, ce qui Ç assure une rentabilitŽ ŽlevŽe aux capitaux privŽs investis ˆ court terme dans le prŽfinancement de la construction È (Topalov, 1973, p.18).

 

Pour Topalov et Lipietz, les formes 1¡ et 2¡ sont aujourd'hui marginales en France, ce qui sous-entend que la majoritŽ des opŽrations immobilires impliquent un promoteur. Mais ˆ Bruxelles, dans les quartiers de locataires, les opŽrations menŽes par les bailleurs semblent pourtant tre nombreuses ; ces Ç promoteurs-bailleurs È ne sont pas des promoteurs professionnels au sens strict dŽfini plus haut mais ils sont tout aussi susceptibles d'avoir une influence dŽterminante sur la gŽographie de la rente foncire que celles menŽes par des promoteurs professionnels.

Smith (1979, p.546) a une conception plus large de ce qu'est un promoteur (developer). Il en dŽcrit trois catŽgories, actifs dans les quartiers en gentrification, que l'on retrouve probablement sur le marchŽ bruxellois: (a) les promoteurs professionnels qui achtent une propriŽtŽ, la transforment puis la revendent, (b) les Ç promoteurs occupants È (occupier developers) qui achtent, rŽnovent puis occupent un bien, (c) les Ç promoteurs bailleurs È (landlords developers) qui mettent leur bien en location aprs la transformation[6].

 

Par ailleurs, peut-on considŽrer le promoteur comme l'acteur dŽterminant? Il semble que ds que les promoteurs sont prŽsents dans le systme, le capital promotionnel domine les autres formes de capitaux qui interviennent dans la production de logements; en effet, le profit dŽgagŽ par l'opŽration sert ˆ rŽmunŽrer ˆ la fois:

-      le capital promotionnel (capitaux propres du promoteur)

-      le capital de prt

-      le propriŽtaire ˆ travers le tribut foncier

-      l'entrepreneur

C'est le capital propre du promoteur qui est le mieux rŽmunŽrŽ, c'est le promoteur qui prend le risque financier; on peut supposer qu'il Ç impose È ses stratŽgies spatiales aux autres agents qui interviennent dans la production (Topalov, 1973).

 

 

Les donnŽes disponibles et leurs limitations

La recherche utilisera comme matire premire une base de donnŽes reprenant tous les permis d'urbanisme (l'Žquivalent du Ç permis de construire È franais) dŽlivrŽs ˆ Bruxelles sur une pŽriode donnŽe, permettant de dresser un portrait prŽcis des producteurs de logement: forme juridique (personne physique/personne morale, public/privŽ,...), types de population, types d'entreprises, formes de financement. Ces permis ont trait aussi bien aux constructions neuves qu'aux rŽnovations de logements. Le nombre de logements concernŽs par le permis est chaque fois mentionnŽ.

Dans un premier temps, les demandeurs de permis seront rangŽs dans diffŽrentes catŽgories de Ç promoteurs È (au sens trs large) :

-      promoteur public

-      Ç promoteur occupant È (ou futur occupant)

-      Ç promoteur-bailleur È (ou futur bailleur)

-      promoteur privŽ professionnel

-      sociŽtŽ immobilire d'investissement (SICAFI)

 

De par la nature des informations qui sont encodŽes par l'administration lors d'une demande de permis d'urbanisme, certaines informations utiles ˆ l'analyse manquent. Par exemple, puisque la base de donnŽes ne donne aucune information sur la relation future entre le logement et le demandeur du permis, il est impossible de distinguer avec certitude, parmi les demandeurs de permis d'urbanisme qui ne sont pas des sociŽtŽs: 1¡ un futur propriŽtaire occupant; 2¡ un futur propriŽtaire bailleur; 3¡ un promoteur professionnel sans sociŽtŽ. La solution envisagŽe est de considŽrer que :

-      toute personne demandant un permis d'urbanisme pour un ou deux logements ˆ sa propre adresse est un occupant de ce(s) logement(s) -> catŽgorie Ç promoteur occupant È;

-      toute personne demandant un permis d'urbanisme pour un ou deux logements ˆ une adresse diffŽrente de la sienne est un futur occupant de ce(s) logements. On part ici du principe que peu de promoteurs professionnels s'investiraient dans une si petite opŽration – hypothse qui sera testŽe en cours de recherche -> catŽgorie Ç promoteur occupant È;

-      toute personne demandant un permis d'urbanisme pour plus de deux logements, que ce soit ˆ sa propre adresse ou ˆ une autre, est un futur bailleur de ce(s) logement(s) -> catŽgorie Ç promoteur-bailleur È ;

 

On fait donc l'hypothse qu'il n'y a pas de Ç promoteur professionnel È sans sociŽtŽ, car la constitution d'une sociŽtŽ prŽsente des avantages financiers et juridiques.

 

Toutes les sociŽtŽs demandant un permis seront considŽrŽes comme des sociŽtŽs de promotion, ˆ moins qu'elles ne fassent partie des (peu nombreuses) SICAFI prŽsentes ˆ Bruxelles. Les actes et les comptes des sociŽtŽs seront ŽpluchŽs pour encoder des informations diverses ˆ leur sujet: capital, secteur(s) d'activitŽ(s), annŽe de constitution, types de souscripteurs, etc.

 

 

Une fois le Ç type È dŽterminŽ pour tous les promoteurs, l'analyse spatiale selon ces types pourra tre faite.

 

 

Premiers pas dans l'analyse de la production de logements ˆ Bruxelles

 

Une premire analyse a pu tre menŽe sur des statistiques de permis d'urbanisme agrŽgŽes au niveau des communes, mise ˆ disposition par l'Institut National de Statistiques. La carte 1 montre le nombre de permis de construction et de rŽnovation accordŽs dans chaque commune entre 1996 et 2009, rapportŽe au stock de logements en 2001. La totalitŽ des constructions et une bonne partie des rŽnovations correspondent ˆ de la production de logements.

Carte 1

Les espaces les plus Ç dynamiques È en termes de rŽnovation et construction de logements sont, dans l'absolu, les communes du centre de l'agglomŽration; mais l'activitŽ est plus importante  dans les communes suburbaines lorsqu'on la rapporte au stock de logements, dans des communes o la construction prime sur la rŽnovation, ce qui montre que la banlieue bruxelloise est toujours en croissance.

 

La carte de l'Žvolution du nombre de permis octroyŽs (carte 2) montre par contre une croissance plus importante de l'activitŽ, sur la pŽriode 1996-2009, dans les espaces centraux de la ville: commune de Bruxelles et certaines communes de premire couronne (Saint-Gilles, Forest, Molenbeek), ainsi qu'ˆ l'ouest de la RŽgion (Berchem-Ste-Agathe, Jette).

  

Carte 2

 

Cette croissance est probablement ˆ mettre en relation avec la gentrification en cours dans les communes centrales, et avec l'attractivitŽ des communes de l'ouest de la RŽgion, o les prix de l'immobilier sont restŽs plus abordables. L'absence d'information prŽcise sur les travaux et sur les demandeurs des permis, dans cette base de donnŽes agrŽgŽes, ne permet pas de pousser l'analyse beaucoup plus loin. Notons simplement que ces espaces sont aussi ceux o rŽsident les tranches de population aux revenus les plus faibles (carte 3), et o les loyers pratiquŽs Žtaient les plus bas jusque rŽcemment.

 

Carte 3

 

 

La carte 4 montre les prix demandŽs pour les logements mis en location actuellement[7], qui donnent une idŽe de l'accessibilitŽ actuelle du marchŽ immobilier dans ces zones. On peut comparer (carte 5) ces prix demandŽs aux prix pratiquŽs c'est-ˆ-dire ceux que paient les locataires actuels quelle que soit l'Žpoque ˆ laquelle le bail a ŽtŽ conclu, et se faire une idŽe de l'Žvolution du marchŽ dans ces zones. C'est dans les espaces centraux, encore une fois, que la diffŽrence est la plus sensible entre les prix des logements mis en location actuellement et ceux d'il y a quelques annŽes, quoique cette Žvolution soit plus forte en premire couronne est (Ixelles, Etterbeek, Saint-Josse) qu'en premire couronne ouest.

Carte 4

Carte 5

 

Pour conclure sur base de ces quelques cartes, l'existence d'un rent gap dans les espaces centraux de l'agglomŽration bruxelloise ne fait pas de doute. Ce rent gap y explique au moins en partie la gentrification ˆ l'oeuvre, et probablement l'intense activitŽ en matire de rŽnovation et construction. Quels sont les diffŽrents types d'acteurs qui rŽnovent et construisent dans ces zones, et ˆ quel moment les uns et les autres interviennent-ils dans ce processus de revalorisation foncire? Voilˆ les questions auxquelles la recherche en cours devrait permettre de rŽpondre.

 

 

Bibliographie

-      Bre‘s, G. (2009), L'urbanisme du sacrifice et des bouts de ficelle, Aden, Bruxelles, 368 p.

-      Charles, J. (2007), Structure de la propriŽtŽ sur le marchŽ locatif privŽ bruxellois, Prospective Research for Brussels, Bruxelles, 106 p.

-      Hackworth, J. et Smith, N. (2000), The changing State of Gentrification, Tijdschrift voor Economische en Sociale Geografie,  92, 4, p.464-477.

-      Hamnett, C. (1991), The Blind Men and the Elephant: the Explanation of Gentrification, Transactions of the Institute of British Geographers, N.S., 16, 2, p.173-189.

-      Harvey, D. (1974), Class-Monopoly Rent, Finance Capital and the Urban Revolution, Regional Studies, 8, p.239-255.

-      Harvey, D. et Chatterjee, L. (1974), Absolute Rent and the Structuring of Space by Governmental and Financial Institutions, Antipode, 6, 1, p.22-36.

-      Leal (2003), El sector de la construcci—n y la vivienda en Madrid, in: Garc’a Delgado (Žd.), Estructura econ—mica de Madrid, Civitas, Madrid.

-      Lipietz, A. (1974), Le tribut foncier urbain, Maspero, Paris, 290 p.

-      Romainville, A. (2010), A qui profitent les politiques d'aide ˆ l'acquisition de logements ˆ Bruxelles?, Brussels Studies, 34.

-      Santos Preciado, J. M. (2005), El problema de la vivienda en la aglomeraci—n urbana madrile–a: situaci—n y posibles alternativas, Estudios geogr‡ficos, LXVI, 259, p.637-665.

-      Smith, N. (1979), Toward a Theory of Gentrification. A Back to the City Movement by Capital, not People, Journal of the American Planning Association, 45, p.538-548.

-      Smith, N. (1982), Gentrification and Uneven Development, Economic Geography, 58, 2, p.139-155.

-      Topalov C. (1973), Les promoteurs immobiliers. Contribution ˆ lÕanalyse de la production capitaliste du logement en France, Paris La Haye, Mouton.

-      Van Criekingen, M. (2001), La rŽnovation rŽsidentielle ˆ MontrŽal et ˆ Bruxelles. Dynamiques, impacts sociaux et r™le des pouvoirs publics, Thse de doctorat inŽdite, UniversitŽ Libre de Bruxelles, 260 p.

-      Van Criekingen, M. et Decroly, J-M. (2009), Le Plan de DŽveloppement International de Bruxelles. Promesses de dŽveloppements immobiliers et d'inŽgalitŽs croissantes?, Brussels Studies, 25, p.1-15.

-      Van Criekingen, M. et Decroly, J-M. (2003), Revisiting the diversity of Gentrification: Neighbourhood Renewal Processes in Brussels and montreal, Urban Studies, 40, 12, p.2451-2468.

-      Vandermotten, C., Vermoesen, F., De Lannoy, W. et De Corte, S. (1999), Villes d'Europe. Cartographie comparative, Bulletin du CrŽdit Communal, n¡207-208, 408 p.

-      Vandermotten, C. et Marissal, P. (2004), La production des espaces Žconomiques, tome 1, Editions de l'UniversitŽ Libre de Bruxelles, 468 p.

-      Williams, P.R. (1976), The Role of Institutions in the Inner London Housing Market: the Case of Islington, Transactions of the Institute of British Geographers, New Series, 1, 1, p.72-82.

-      Wilson, D. (1989), Local state Dynamics and Gentrification in Indianapolis, Indiana, Urban Geography, 10, 1, p.19-40.

 

 



[1]   qu'elle soit perue sous forme de loyers ou Ç capitalisŽe È lors de la vente d'un bien immobilier.

[2]   mŽtamorphose progressive de quartiers urbains populaires en quartiers aisŽs, marquŽe par des rŽnovations de l'environnement b‰ti, un changement de population et l'augmentation du statut social des habitants.

[3]   ma traduction

[4]   La petitesse des mŽnages s'explique aussi par le vieillissement de la population (rurale) d'origine.

[5]   Le r™le trs important des pouvoirs publics dans les processus de valorisation ou de revalorisation foncire tels que l'urbanisation des pŽriphŽries urbaines ou la gentrification a ŽtŽ relevŽ par beaucoup d'auteurs (voir par exemple Harvey et Chatterjee, 1974; Williams, 1976; Wilson, 1989; Hackworth et Smith, 2000; pour le cas bruxellois voir par exemple Bre‘s, 2009; Van Criekingen et Decroly, 2009; Romainville, 2010).

[6]   ma traduction

[7]   La source utilisŽe est un des mŽdia les plus couramment utilisŽs pour la mise en location et la vente de logements en Belgique (www.immoweb.be). Il n'en reste pas moins que les donnŽes ne reprŽsentent que partiellement les prix rŽels des logements mis en location, le biais principal Žtant probablement le fait qu'une bonne partie des changements de locataire se fait sans passer par une annonce dans un mŽdia. Les logements qui sont mis en location de la sorte sont sans doute les plus intŽressants financirement (Ç bonnes affaires È qui se transmettent par bouche-ˆ-oreille ), ce qui est susceptible de crŽer un biais ˆ la hausse dans les prix prŽsentŽs ici.